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à se trouver gênés dans leur action par la rivalité de la France et de l’Angleterre. Au sud de la presqu’île, les rois de Mysore, devenus redoutables, tantôt leur déclarant la guerre et tantôt les prenant à leur solde, entraînaient les Mahrattes dans de nouveaux hasards. Quant à la formidable coalition des Afghans, des Rohillas et des Mogols, contre laquelle s’étaient brisées toutes les forces de la confédération obéissant à un seul chef, elle allait se dissoudre plus vite encore qu’elle ne s’était formée, par suite des rivalités qui existaient déjà entre les chefs, et aussi par l’impossibilité où se trouvait Ahmed-Shah de maintenir dans le devoir ses indisciplinés Dourranies[1].

Cinq jours après la bataille, et dans tout l’éclat de sa victoire, Ahmed-Shah reprenait le chemin de Dehli avec le secret désir de s’y déclarer empereur; mais ses troupes mutinées réclamaient la solde de deux années de campagne, et menaçaient leur chef de l’abandonner pour regagner le Kaboul, leur pays natal. D’un autre côté, Shoudja-Oul-Dowlah, l’auxiliaire d’Ahmed, devenu suspect au Dourranie à cause des bons offices qu’il avait rendus aux Mahrattes blessés ou prisonniers, ne se trouvait plus en sûreté dans le camp de son allié. Sans prendre congé d’Ahmed-Shah, il partit à la dérobée comme un fugitif, traversa le Gange et se réfugia dans sa vice-royauté d’Oude. Désespérant de pouvoir apaiser ses féroces soldats, le shah dut retourner, à son grand regret, à Kandahar, sa capitale, emportant avec lui une somme de quarante lakhs de roupies, que lui avait comptée le vizir de l’empire mogol, Nadjib-Oul-Dowlah, pour prix de ses services.

L’empire de Dehli se trouvait de fait en pleine dissolution, et l’élément indien dans la personne des chefs mahrattes Sindyah et Holkar allait reprendre le dessus une fois encore sur les musulmans venus de la Perse. Pour l’instant, c’était du côté de la soubabie ou vice-royauté mogole du Dekkan que les plus sérieux dangers menaçaient la confédération mahratte. Les fils du fameux Nizam-Oul-Moulouk, — mort à l’âge de cent cinq ans, — s’étaient disputé l’héritage de leur père; celui des deux concurrens que soutenaient les Français avait naturellement les Anglais pour ennemis. Après bien des luttes et des intrigues, Nizam-Ali, que les Anglais cherchaient à tenir sous leur dépendance, resta seul maître du pouvoir. Fourbe, cruel et fanatique, il commença par s’aliéner l’esprit des Mahrattes engagés au service du Grand-Mogol en détruisant un temple hindou d’une grande célébrité, situé sur les bords du Godavery. Après avoir ainsi humilié ses voisins, il fit irruption sur leurs terres et marcha jusqu’à douze lieues de Pounah. L’esprit guerrier des Mahrattes s’étant ré-

  1. Tel était, on se le rappelle, le nom de la tribu d’Ahmed-Shah et de la dynastie qu’il avait fondée à Kandahar.