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ont encore fourni durant la période des hostilités qui se sont élevées entre l’Europe occidentale et le Céleste-Empire; mais cette ressource est devenue tout à fait insuffisante, les colonies s’efforcent d’y suppléer par l’engagement des noirs libres, et l’Angleterre a songé même à transporter sur ses cultures de cannes et de coton les cipayes rebelles dont son armée de l’Inde peut s’emparer. Quant aux Chinois qui consentent encore à subir la condition de coolies, ils sont loin de déployer la même activité et la même énergie que ceux qui travaillent pour leur propre compte. Cette forme de leur émigration a été le point de départ du grand mouvement qui entraîne tant d’hommes hors des vieilles barrières de la Chine; mais pour les voir à l’œuvre dans le complet développement de leurs instincts et de leurs facultés, il faut les suivre, dans leur émigration libre, en Californie, en Australie, à Bornéo, aux Philippines, partout où les conduit le besoin de vivre et où les retient le désir d’amasser.


II. — L’EMIGRATION LIBRE.

La nouvelle de la découverte des gîtes aurifères de la Californie traversa le Pacifique avec autant de rapidité que l’autre Océan. Les Chinois qui se trouvaient agglomérés dans les ports ouverts, attendant, les uns un engagement de coolies, les autres une occasion de se faire transporter à Bornéo, où depuis longtemps le travail de l’or leur était familier, se dirigèrent en grand nombre vers la région signalée à leur activité. Dès 1850, un an après la découverte des mines, ils étaient assez nombreux en Californie pour assister en corps aux obsèques du président Taylor, et présenter une adresse pour expliquer la part prise par eux à ce deuil public. Dans les années suivantes, l’immigration augmenta dans des proportions considérables; parmi eux se trouvaient quelques coolies amenés par des compagnies, mais en petit nombre, à cause de la répulsion des Américains pour ce genre de travailleurs; ils consentent à en charger leurs bâtimens pour les colonies, parce que le transport en est lucratif, mais ils n’en veulent pas chez eux. Au surplus, le Chinois libre ne tarda pas à être vu avec non moins d’antipathie.

Ces nouveau-venus se distinguèrent, dès leur entrée dans l’état, par un esprit d’ordre et une persistance dans leur nationalité vraiment remarquables. Au milieu de la Babel où des hommes venaient de tous les coins du monde croiser et mêler leurs habitudes et leurs passions, les Chinois restaient toujours fils du Céleste-Empire, et gardaient une physionomie particulière; ils ne cherchaient en rien à rompre l’isolement dans lequel les plaçaient leur langue et leurs