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Déjà de branches en branches il approchait du nid, quand son compagnon lui défendit d’y toucher. L’enfant obéit, quoique bien à regret. Pendant qu’il descendait de l’arbre, Ferréol conta à Joachim le pari qu’il avait fait à la bonne gentiane, et il termina en demandant au braconnier son concours, que celui-ci lui promit plein et entier, mais non sans avoir stipulé divers cadeaux pour Rosalie et pour lui-même. Ferréol lui ayant assuré que tous deux seraient contens, il fut convenu qu’ils se reverraient le lendemain à Mouthe pour se concerter sur ce qu’ils auraient à faire, après quoi le braconnier quitta les deux jeunes gens; mais à peine était-il à une demi-portée de fusil, qu’il se retourna en appelant Ferréol.

— Eh bien! qu’y a-t-il? demanda le jeune homme.

— Tu sais les cadeaux que tu m’as promis; ne va pas les oublier au moins.

— Sois tranquille, vieil enjôleur; mais est-ce là tout ce que tu avais à me dire? Tu pouvais bien me laisser continuer mon chemin.

— Vas-tu coucher ce soir au val de Joux?

— A moins que le feu n’ait pris à toutes les paillasses; encore y a-t-il des greniers à foin.

— Vivent les canards ! Il va en tomber de cette eau tout à l’heure. Tu n’auras pas besoin de brosse en arrivant, c’est moi qui te le dis.

Ferréol leva la tête. Les sapins ne lui permettaient de voir qu’un étroit espace du ciel. Aucun nuage ne s’y montrait, mais deux aigles tournoyaient sur la forêt en poussant cris sur cris, signe infaillible d’orage, au dire de nos montagnards. Presque au même instant d’ailleurs les épicéas commencèrent à s’agiter, et un sourd et sinistre concert de beuglemens s’éleva de toutes les clairières de la montagne.

— Allons, petit, dit Ferréol à son camarade, en avant et lestement; nous avons encore le temps d’arriver au chalet de Montoiseau.

Les deux voyageurs venaient d’entrer dans la clairière au fond de laquelle se trouve le chalet qui devait leur servir de refuge, quand un de ces armaillis de la Suisse allemande, qui sont si nombreux dans les fermes du Haut-Jura, leur cria de loin : N’approchez pas!

— Pourquoi n’approcherions-nous pas? demanda Ferréol; est-ce que le diable est en campagne par ici?

— Derrière ces buissons, il a presque éventré hier Simonet d’un coup de cornes.

Ferréol connaissait parfaitement la vie des chalets : il devina tout de suite la nature du péril qui lui était signalé; Tony, plus inexpérimenté, ne comprit rien à l’avertissement de l’armailli, dont le langage moitié allemand, moitié patois du Jura, était du reste presque inintelligible.