Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/972

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seulement de toute invention, mais encore de toute composition. Les jeunes esprits qui prennent au sérieux, je ne dirai pas leurs devoirs d’écrivains, mais simplement leur tâche, ont donc à se prémunir à leurs débuts contre un double écueil, l’exagération ou le réalisme. — Ajoutons comme correctif que ce que nous appelons réalisme, ce n’est pas la reproduction de la réalité, mais bien dans cette reproduction l’absence du choix des élémens harmoniques, c’est-à-dire le manque de composition et de style.

Cette science de la reproduction des choses réelles est ce qui distingue éminemment un petit volume écrit à Genève, et intitulé Nouvelles montagnardes[1]. Dans ce que nous avons examiné jusqu’à présent, au milieu des scènes pastorales qu’il décrivait, des sentimens dont il exposait la lutte, l’auteur se montrait toujours, et cette transparence d’une individualité que les écrivains humoristiques étalent hardiment résultait ici le plus souvent d’une recherche même de simplicité poussée jusqu’à l’affectation. Ici l’auteur disparaît complètement, et il ne se trouve, à vrai dire, que sur la couverture : son nom est Charles Dubois. Avec lui, nous sommes introduits dans une contrée qu’il désigne et que l’on peut visiter, au centre de mœurs positives appartenant à une circonscription de territoire parfaitement définie. C’est donc la réalité pure qu’a étudiée M. Dubois ; évidemment il a fait peu de frais d’imagination, mais il a vaincu habilement, par une composition savante, les difficultés que lui créait l’absence même d’invention. Ce qu’il nous expose, ce n’est pas la réalité d’un fait pris au hasard, et qui pourrait se rapporter également à diverses contrées et à différentes classes sociales ; c’est la réalité, saisie dans son ensemble et par conséquent dans son harmonie, de tous les détails, dont le moindre doit être significatif. Aussi ce recueil est-il simplement une suite de petits tableaux irréprochables au point de vue de la délicatesse et du goût. La langue de M. Dubois est celle du charmant et regrettable Toepffer : elle use des mêmes procédés, elle arrive au même pittoresque ; mais la naïveté qui en constitue le fond est peut-être moins cherchée et moins précieuse. L’écrivain genevois s’est servi, sans en prendre le patois cependant, de l’idiome propre des paysans dont il raconte les mœurs, et ce langage, sans lequel il n’aurait pu exprimer complètement certaines idées particulières, offre un charme dont il serait difficile de donner une idée autrement que par des exemples. Aussi renvoyons-nous en toute assurance au livre. On n’y trouvera ni subtilités ni dissertations, mais un naturel qui palpite sous les moindres détails, et qui, sans qu’on puisse le prendre une seule fois en flagrant délit de prétention, arrive de lui-même aux effets irrésistibles de l’éloquence naïve. L’auteur a su rester constamment vrai en se tenant constamment dans les limites du réel : il faut, pour atteindre ce résultat, un grand bonheur ou un grand talent.

Les qualités de son récit nous permettent de ranger Mme Charles Reybaud dans la série des écrivains qui visent à une harmonieuse simplicité. L’auteur de Faustine et du Cadet de Colobrières a commencé d’abord par faire dans l’invention et dans les idées la part la plus large possible au romanesque. Il en résultait souvent entre la forme et le fond un désaccord qui se manifestait ordinairement

  1. 1 vol. in-12, Paris, chez Cherbuliez, 10, rue de la Monnaie.