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grand compte de la probité, lorsqu’elle se trouve chez les chefs d’état de notre époque. Nous croyons qu’à une égale droiture de cœur, le nouveau régent de la monarchie prussienne joint une rectitude d’esprit qui relèvera le cabinet de Berlin. Moins facile aux séductions des nouveautés que ne le fut son frère, mais en revanche, nullement épris de ces enfantillages gothiques qui amusaient l’imagination et la religion du roi, le prince de Prusse est considéré, depuis quelques années, comme favorable à ce système de gouvernement constitutionnel et de libéralisme conservateur qui a pour représentant, en Prusse comme ailleurs, l’élite des intelligences. Uni à une princesse accomplie, qui a gagné, par ses sentimens généreux et ses amitiés connues, l’estime affectueuse de l’Europe libérale, l’alliance de son fils à la fille aînée de la reine Victoria annonçait suffisamment les tendances nouvelles qu’il donnerait à la politique prussienne. L’avènement du prince à la régence sera promptement suivi, il faut l’espérer, de la déroute de ce ridicule parti des hobereaux et des absolutistes sentimentaux qui n’ont pu conserver si longtemps leur malfaisante influence que grâce à la faiblesse du roi. Le représentant de ce parti dans le ministère, M. de Westphalen, a déjà reçu son congé. La presse prussienne va reprendre son indépendance et recouvrer sa vraie valeur. Grâce au changement de politique, de curieuses révélations se sont déjà répandues sur le ridicule système qui a pesé sur la presse en Prusse dans ces dernières années. La Gazette de Woss apprenait l’autre jour à ses lecteurs que chaque semaine des émissaires du ministre de l’intérieur venaient, dans ses bureaux, lui intimer verbalement ou par écrit l’ordre de modérer ses appréciations, ou de cesser ses publications politiques. On croit rêver lorsqu’on apprend qu’un gouvernement a pu, en plein XIXe siècle, se laisser aller à de pareilles petitesses dans un pays aussi éclairé et aussi avancé que la Prusse. Toutes ces mesquines tracasseries ont cessé depuis l’arrivée du prince au pouvoir. Des élections vont mettre le nouveau régent en présence de l’opinion sincère du pays, et nous espérons que la Prusse, sous une administration formée par le parti constitutionnel, marchera dans les voies libérales où l’appellent ses destinées.

On dit que, parmi les premières félicitations qu’ait reçues le prince régent de Prusse, sont arrivées celles de l’empereur Alexandre de Russie. L’une des conséquences indiquées de l’avènement du régent, c’était la fin de cette docilité aux influences de Pétersbourg qui avaient depuis si longtemps affaibli la politique de Frédéric-Guillaume. Du reste, il ne semble plus que, sous l’empereur actuel de Russie, les influences russes doivent être hostiles au mouvement libéral de notre époque. L’empereur Alexandre, arrivé au trône dans des circonstances qui excitaient l’intérêt sincère des nations armées contre la politique de son père, justifie les espérances qui ont accueilli son règne. S’il réussit dans l’entreprise d’affranchissement qu’il a commencée, il sera le réformateur le plus bienfaisant qui ait régné jusqu’à ce jour en Russie. Il poursuit l’émancipation des serfs avec une application et une énergie qu’on ne saurait trop applaudir. Il n’est pas seulement l’initiateur de cette grande réforme, il en est l’apôtre ému et émouvant. Les discours qu’il a prononcés durant son récent voyage, devant les noblesses de Nijni-Novgorod, de Tver, de Moscou, respirent cette simplicité qui est l’accent