Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/958

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont bien plus souvent des victoires de soldats que des victoires de généraux, et ce sont ceux auxquels sont à peu près interdits les profits de la guerre qui en supportent toutes les charges avec une infatigable patience, avec un héroïque désintéressement. Quelle est cette influence mystérieuse qui enracine de préférence au cœur du peuple, au sein des populations qui ne vivent que du travail, et qui n’ont pour ainsi dire dans l’histoire ni passé ni lendemain, le sentiment exalté du patriotisme ? Pourquoi un succès national a-t-il son plus vif retentissement dans ces modestes foyers sur lesquels pèsent sans compensation tous les maux de la guerre ? Plus d’une fois, pendant la campagne de Crimée, on a pu juger, au milieu de notre spirituelle et vaillante population parisienne, de la spontanéité du patriotisme au sein du peuple. Les jours de bulletins victorieux, tandis que, dans les quartiers aristocratiques, on laissait traduire aux lampions officiels la satisfaction publique, il fallait aller voir dans les rues populeuses resplendir la joyeuse fierté plébéienne aux fenêtres des logemens d’ouvriers. Expliquera qui voudra le sublime mystère du patriotisme guerrier des masses ; comment pourrait-on en voir les manifestations sans être pénétré d’un amour profond pour le peuple ? Ce sentiment, auquel il est impossible de se soustraire pendant les perplexités de la guerre, nous l’éprouvons aussi naturellement pendant la paix, à la vue de ces camps où le peuple-soldat sacrifie les plus belles années de la jeunesse et du travail à l’intérêt national de son éducation militaire.

Nous avions été trompés, il y a quinze jours, sur les tendances économiques du gouvernement par un journal qui, prenant à tort le ton et l’autorité d’un organe officiel, avait annoncé le rétablissement de l’échelle mobile et le retour au système protecteur en matière d’alimentation publique. Ce journal n’était heureusement dans cette circonstance que l’avocat trop zélé de la coterie protectionniste. Le gouvernement a maintenu encore pour une année la suspension de l’échelle mobile et la libre admission dans nos ports des céréales étrangères. C’est une mesure louable, et qui doit dès à présent être considérée comme annonçant l’abandon définitif du système qui, sous prétexte de protéger la production nationale, tendait à renchérir artificiellement la nourriture du peuple. Il nous sera impossible en effet, après une suspension de quatre années, de revenir au système de l’échelle mobile, et il est à supposer que le gouvernement ne laissera point passer la prochaine session du corps législatif sans fixer la législation économique sur cette question importante. À l’égard de l’Algérie, la politique protectionniste vient également d’éprouver un échec. Par un décret que le Moniteur publie aujourd’hui, les navires étrangers sont autorisés pendant une année encore à transporter les denrées alimentaires d’Algérie en France.

Sans doute, si cette admission temporaire des marines marchandes étrangères dans notre commerce avec l’Algérie devait, après avoir duré pendant plusieurs années, devenir un fait permanent, il y aurait une anomalie de plus dans notre système douanier. Entre l’Algérie et la France, le commerce en effet n’est point encore entièrement libre. Certains produits naturels et la presque totalité des produits industriels de l’Algérie sont traités et taxés à peu près comme étrangers à leur entrée en France. Si certaines industries