Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/925

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quant à lui, qu’il reste, s’il te fait serment de ne point se venger du fermier !

« Duncan me prêtait fort à propos une aide très utile. J’étais sûr désormais que Mac-Fy-ne porterait plus le trouble dans mes terres. La parole jurée fut tenue, et l’outlaw n’alla point habiter ces maisons qu’il détestait. De temps à autre, sa femme et sa fille quittaient Fort-Augustus pour aller le voir dans la montagne. Ronald, de son côté, s’absentait parfois durant plusieurs jours. Au retour, rien ne pouvait le tirer de son silence. Le louveteau avait senti la liberté.

« Deux années plus tard, un de mes gardes trouva derrière cette roche que vous apercevez d’ici, cette roche noire presque au sommet de la montagne, Mac-Fy étendu sans vie près d’un cerf qu’il avait tué. Sa figure était calme. Il tenait encore son couteau de la main droite, et de l’autre main le bois de l’animal. Un aigle planait au-dessus du corps. Son grand vol traçait des cercles immenses, sans jamais s’en approcher. Le garde enterra Mac-Fy à cette place même. L’aigle disparut derrière le nuage, lorsque la terre eut recouvert le cadavre. Les habitans du pays vous diront que l’âme de Mac-Fy le sorcier veillait encore sur sa dépouille. Si vous restez quelque temps parmi nous, ajouta-t-il, vous comprendrez, soyez en sûrs, l’amour de Mac-Fy pour ces terres sauvages, et la croyance aux sorts et aux esprits qui vous étonne ne vous surprendra plus. »

Depuis longtemps déjà, le canot avait touché la rive, personne ne songeait à descendre. Nous écoutions, et, lorsqu’il fallut enfin se lever pour regagner le cottage, en franchissant le pont couvert de chèvrefeuille jeté sur le torrent, nous regardâmes une dernière fois ce paysage magnifique, témoin des exploits de l’outlaw, ces crêtes lointaines qui prenaient à cette heure avancée une teinte mystérieuse, et nous bûmes pendant le repas du soir aux amours du lion, à l’ombre de Mac-Fy.

Bien souvent depuis lors nous avons parlé de ces heures trop courtes, de la prédiction de notre hôte et de son aimable hospitalité. Il avait dit vrai. Revenus dans une contrée plus clémente, nous comprenions l’attachement du pauvre habitant pour ce sol ingrat. L’Écosse est un pays dont le souvenir fait rêver. Les bruyères sans fin qui couvrent ses montagnes, les parfums sauvages qu’elles exhalent, le bruit même du vent dans ces solitudes, frappent l’esprit et l’imagination. Cette terre stérile a des émanations qui raniment et donnent un bien-être infini, elle a des brises fortifiantes, et l’on n’en peut oublier les âpres saveurs.


Cte P. DE CASTELLANE.