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main, et sous cette étreinte on l’aurait vu disparaître plus promptement encore que le verre de whisky que Duncan avait avalé d’un seul trait.

— Oui, dit-il, entre lui et moi, il n’y avait point place pour une étrangère. Quand il eut pris femme, nous nous sommes quittés, et pourtant le lien que forme la souffrance n’a point coutume de se briser. Quand Mac-Fy fuyait, ma grand’mère lui donna asile, et l’amitié nous unit… Ah ! cela vous surprend ?… Que voulez-vous ? une seule heure souvent commande la vie entière. Un de ces maudits qui, par ruse, livrent la chair humaine aux colonels du roi rencontra Mac-Fy un jour qu’il était allé vendre de la venaison à Inverness, l’enivra et lui fit mettre une croix au bas d’un écrit qui le faisait soldat. Le lendemain, quand le vertige eut quitté Mac-Fy il pensa à la montagne et voulut fuir. Un sergent leva sa canne ; il rendit coup pour coup, et fit bien. Les soldats l’arrêtèrent ; mais le soir, quand on le menait à la prison, il en renversa cinq, et, grâce à la nuit, parvint à dérober sa course. C’était au commencement du siècle, la guerre enlevait beaucoup d’hommes. Le régiment quitta Inverness pour le continent, et Mac-Fy fut oublié. Pas un au reste n’eût songé à chercher le déserteur dans la cabane de ma grand’ mère. Tous les bras se seraient levés pour défendre l’hôte de celle qui guérissait les souffrances. La vieille avait rencontré Mac-Fy lors de sa fuite, quand, épuisé par la rapidité de la marche, il était étendu, presque sans vie, le long du chemin. En apprenant qu’il se dérobait à l’armée, elle jura de lui porter secours, car la vieille avait gardé souvenir du sang versé par les habits rouges et de ses deux frères mis à mort sous ses yeux. Je fis ce qu’elle ordonnait, Mac-Fy devint mon compagnon. Chaque nuit, nous sortions pour tendre nos pièges, et si un mouton se trouvait à notre portée, nous le prenions sans nous inquiéter du maître. La montagne nous appartenait, le mouton avait mangé notre herbe. C’était notre droit, au moins je le pensais. Lorsque la grand’mère mourut, je restai seul maître de la cabane, qui nous servait parfois de refuge, quand nous ne courions pas le pays. Ah ! jamais chasseurs n’eurent le pied plus agile, l’œil plus sûr, la main plus alerte ! Ce furent alors les bonnes années ! Chacun nous faisait grand accueil, car Mac-Fy, tous le savaient, était en communication avec les esprits.

« Et comme le vieux garde remarquait mon étonnement : — Votre honneur, dit-il, n’aurait pas douté, s’il avait vu, durant son sommeil, la figure de Mac-Fy peindre les visions que les esprits lui envoyaient. Quand il quittait son repos, il annonçait l’avenir. Sa parole ne m’a jamais trompé. La vie était douce d’ailleurs. Les heures fuyaient. Nous étions heureux comme les aigles, nos compagnons. Point de soucis, point de peines, et quelles chasses ! une