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des Clisson. Brizeux réservait une composition de ce genre pour une période ultérieure ; il croyait faire une œuvre plus opportune, et à laquelle il était appelé mieux que personne, en recueillant les fragmens épars de l’épopée populaire. La Bretagne héroïque, on la retrouvera toujours dans l’histoire ; les mœurs du laboureur et du marin, les traditions druidiques mêlées d’une manière si originale aux cérémonies chrétiennes, est-on sûr de les retrouver ? Il y en a déjà qui s’effacent ; il faut les recueillir au plus vite, il faut les chanter et les défendre. Voilà ce que Brizeux cherchait dans les chaumières de la Bretagne. Il consacra bien des années à ce travail, et il en fut récompensé par les plus vives émotions du cœur comme par les plus belles inspirations poétiques. Que de jouissances pour l’ami des lutteurs de Scaer ! que de transports inattendus pour l’artiste !

De ce poème des Bretons, qui laisse dans l’esprit du lecteur tant d’impressions fraîches et vigoureuses, nous ne citerons qu’un chant, trop peu remarqué peut-être, qui montre bien avec quel art ferme et souple, et aussi avec quelle piété nationale, Brizeux résumait en quelques pages les recherches de l’érudit et les observations du voyageur. Nous sommes à Carnac, auprès des mystérieux men-hîr ; c’est la fête du saint évêque Cornéli, un des saints bretons les plus chers au poète, un saint que irgile aurait invoqué avec amour, saint Cornéli, patron des bœufs :


Aujourd’hui, Cornéli, c’est votre jour de fête ;
Votre crosse à la main et votre mitre en tête,
Des hommes de Carnac vous écoutez les vœux.
Majestueusement debout entre deux bœufs,
Bon patron des bestiaux !


Mais si les hommes de Carnac lui adressent leurs vœux, les bestiaux ne viennent plus défiler devant lui comme autrefois ; c’est un vieillard du pays qui en fait la remarque. Dans son enfance encore, il a vu cette coutume antique fidèlement observée ; maintenant tout s’en va, les usages se perdent, les prêtres eux-mêmes sont d’accord avec les cœurs sans foi pour abolir les traditions du pays. Il faut l’entendre, le vieux Celte, lorsqu’il accuse ainsi et les prêtres et les générations qu’ils ont formées, « Dans l’ancien temps, les animaux avaient leurs saints, leurs protecteurs : saint Cornéli aimait les bœufs, saint Éloi protégeait les chevaux, saint Hervé les défendait contre les loups ; hommes et bêtes, tous étaient meilleurs et plus forts, car tous vivaient confians, et si le jour de fête de saint Cornéli un paysan du canton n’eût pas amené son bœuf devant l’autel de Carnac, le bœuf y serait venu seul. Aujourd’hui nous avons appris l’ingratitude à nos bestiaux. Ce n’était pas un ingrat, lui. Savez-vous son histoire ? Poursuivi par des soldats païens, il fut soustrait à leurs coups par ses deux bœufs, qui l’emportèrent au galop