Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/910

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les traditions et les usages de la chasse n’ont en Écosse aucun rapport avec ceux qui furent longtemps en honneur dans notre vieille France. Les montagnes et les ravins, les fondrières et les marais arrêteraient bien vite la course des chevaux et l’élan d’une meute. La battue dans les vallées boisées, la ruse, la patience et l’adresse quand le chasseur est seul et poursuit le cerf le long de ces escarpemens où le poney trapu qui doit rapporter l’animal peut à peine le suivre, sont les seuls moyens que la nature du terrain permette d’employer. Avec un coup d’œil sûr, une bonne carabine et des jarrets infatigables, vous aurez, sans sortir d’Europe, les plaisirs d’une chasse digne d’un Indien ; mais, pour goûter ce genre de plaisir, il faut secouer toute paresse, partir dès l’aurore, gagner un point élevé d’où le regard puisse embrasser une partie du pays, interroger l’horizon, chercher le moindre indice, et de rochers en rochers, de montagnes en montagnes, continuer ainsi sans jamais se lasser jusqu’à ce que la vue de l’animal vienne enfin vous récompenser de vos rudes fatigues. Un duel plein de péripéties, le duel de l’habileté contre l’instinct, commence alors. L’odorat si subtil, l’ouïe si fine du cerf, condamnent aux longs détours et aux marches pénibles le chasseur qui veut gagner le vent ; on doit parfois s’arrêter, se résoudre à rester immobile de longues heures à l’endroit où vous fixe la crainte d’être découvert, quand ce serait dans le lit d’un torrent, jusqu’à ce que l’animal, en changeant de place, permette d’avancer sans péril. Le chasseur, rampant comme une bête fauve, parvient, après mille peines, à ces rochers élevés que les cerfs préfèrent. Comme le cœur bat, quand, la carabine appuyée à l’épaule, l’œil suit la ligne de mire, guette l’instant favorable, tient enfin le cerf à l’extrémité du canon ! Le coup part, l’animal est blessé, il fuit, il va disparaître ; mais les vaillans lévriers d’attaque, aux longs poils et à la mâchoire épaisse, sont lancés sur sa trace, et bientôt le combat s’engage sur ces hauteurs, dont les cimes perdues dans les airs s’élèvent au milieu des nuages comme des îles sans cesse battues par la vague écumante des mers lointaines. Ces émotions sont vraiment belles, et les vieux chasseurs ont l’œil ardent et la voix tremblante quand ils racontent les glorieux épisodes de ces chasses.

Les battues laissent l’esprit plus calme. Au lieu de courir après l’inconnu, vous l’attendez. Spectateur pendant une partie du temps, on peut donner libre cours à ses pensées et jouir dans sa plénitude du plaisir qui vient de la contemplation de la nature ; mais quelle que soit votre philosophie, le sang gonflera vos veines et la poésie disparaîtra bien vite lorsque les cris des rabatteurs et les aboiemens des chiens commenceront à se faire entendre. Tout entier à la destruction, le chasseur alors examine chaque arbre, chaque feuille,