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fixés par l’ordonnance du 16 décembre 1843. Ce tarif a assuré à notre industrie l’approvisionnement presque exclusif de la colonie ; mais le gouvernement, en demandant le maintien de la protection de 30 pour 100, a dû se préoccuper des fraudes nombreuses qui se commettent dans la vente des tissus, fraudes qui, en déconsidérant notre commerce aux yeux des consommateurs indigènes, auraient pour résultat de développer la contrebande des tissus étrangers. » Hâtons-nous d’ajouter que la chambre de commerce de Rouen avait été la première à signaler ces fraudes et à demander qu’il y fût porté remède ; mais ce qui est surtout remarquable dans la citation qui précède, c’est qu’en 1850, il y a plus de huit ans, avant les expositions universelles de Londres et de Paris, où les progrès de nos manufactures ont été constatés avec tant d’éclat et si justement récompensés, le gouvernement lui-même, dont on ne saurait méconnaître les sentimens à l’égard du travail national, proclamait l’efficacité du droit de 30 pour 100.

Quel est donc le motif qui engagerait nos industriels à exiger que la prohibition absolue vînt remplacer en Algérie un droit qui suffit pour les protéger ? Ce motif, que nous chercherions vainement dans les faits, on le trouverait peut-être dans la crainte que l’absence de prohibition sur la frontière de l’Algérie, devenue, quant au régime douanier, partie intégrante de la France, n’entraînât la levée de la prohibition, que l’on veut à tout prix conserver à la frontière métropolitaine. Condamnés par l’instinct public, par l’observation impartiale des faits, par les expériences accomplies dans d’autres pays, par le gouvernement, qui leur a déjà marqué leur dernière heure, les prohibitionistes se cramponnent avec obstination à la question de principe ; ils défendent la prohibition pour elle-même, ils soutiennent que, pour certains produits de nos grandes industries, elle doit être uniformément appliquée partout, et ils sentent bien que, s’ils toléraient une brèche en Algérie, leurs positions en France seraient vite emportées. On leur a déjà plus d’une fois opposé les statistiques algériennes, quand ils prétendaient que les manufactures de tissus ne pouvaient résister que par la prohibition à la concurrence étrangère ; on leur a dit : « Puisque vous soutenez victorieusement la lutte sur le marché africain avec un droit protecteur de 30 pour 100, comment osez-vous dire que vous seriez écrasés dans la métropole, sur votre propre terrain, avec un droit égal ? » Voilà ce qui les gêne dans l’appréciation du tarif algérien. Il y a là contre eux un argument terrible à la veille des réformes annoncées pour 1861.

Il ne faut pas que l’Algérie porte la peine de ces discussions qui s’agitent en dehors d’elle et au-dessus d’elle. Le tarif que nous proposons se concilie parfaitement avec la doctrine de la protection, qui régit la métropole. Cette doctrine est en effet très féconde en expédiens. Elle sait, quand il le faut, se modérer, et elle se prête avec une élasticité nécessaire aux exigences de chaque région. Qu’est-ce que l’échelle mobile pour les céréales, sinon un expédient destiné, dans l’opinion même de ses partisans, à tempérer