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De Ségou une caravane se rend tous les ans à Bakel pour chercher les marchandises de la côte, et des colporteurs sarrakholès visitent même fréquemment Ségou. D’après leurs récits, la police de cet état est fort vigilante, les voyageurs y sont protégés, l’étranger y reçoit justice. Les marchés sont surveillés par un fonctionnaire qui pèse l’or et en fixe le prix, fonction bien périlleuse, ce nous semble, pour sa conscience. De ces hautes et lointaines régions qui forment une des lisières du plateau central de l’Afrique, l’esprit de civilisation et de progrès s’étend peu à peu vers l’ouest, jusqu’à ce qu’arrivé au rebord qui les termine, il descende vers le bassin du Sénégal et de la Gambie, où vivent les populations les plus arriérées malgré un long et intime contact avec les commerçans européens : contraste qui doit modérer la bonne opinion qu’à titre de Français ou d’Anglais, de catholiques ou de protestans, les négocians d’Europe sont toujours tentés de concevoir d’eux-mêmes. L’énigme n’est pas difficile à expliquer. L’islamisme, qui envahit de l’est à l’ouest l’intérieur de l’Afrique avant d’atteindre le littoral, est une religion issue de la Bible et de l’Évangile, et grâce à cette double origine, il a souci de l’amélioration morale des peuples, tandis que le trafic des Européens n’a été jusqu’à notre époque qu’une spéculation mercantile dont quelques missionnaires n’ont pas encore réussi à tempérer la cupidité fiévreuse, trop souvent poussée jusqu’à l’oubli de la moralité.

Ségou, la ville la plus considérable du bassin du Djioliba, deviendrait une étape sur la route de l’Afrique centrale et surtout de Tombouctou. Au milieu d’un grand mouvement d’hommes et d’affaires, on y voit arriver de nombreuses caravanes chargées de tissus de coton, de soie et de laine, de tabac, d’armes, de verroterie, de soufre, etc. Une partie de ces marchandises vient des comptoirs anglais de Sierra-Leone et de Bathurst, plus entreprenans que les nôtres ; d’autres, achetées primitivement aux entrepôts anglais de Tripoli et de Tunis, arrivent de Tombouctou. Les habitans sont eux-mêmes industrieux ; ils tissent le coton, le teignent avec l’indigo du pays et le brodent avec la soie européenne ; ils travaillent le fer et l’or, fabriquent de la poudre, recueillent l’ivoire, construisent de grandes embarcations pour naviguer sur le Niger. Il y a là un commencement de civilisation plein de promesses pour le peuple européen qui saura le premier y fonder des établissemens et nouer des alliances durables pour desservir une population qu’on n’évalue pas, dans l’état actuel, à moins de cinq cent mille habitans. Par elle, notre commerce pénétrerait dans les nombreux états musulmans tributaires du Ségou.

Les Français nous semblent appelés à prendre les devans, car ils sont les plus proches voisins de ce pays, et ils y sont aimés. En 1847,