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l’intervention des négocians ne pouvait avoir d’autre mobile que les primes à gagner. En outre, les vastes plantations que conseillait ou qu’ordonnait l’administration, en cotonniers, en indigofères, en arbres de toute provenance, supposaient des capitaux et des bras disponibles en abondance. Ni les uns ni les autres n’affluaient au degré nécessaire. Le peu d’argent dont les planteurs disposaient fut absorbé par les premiers travaux de construction et de défrichement ; les noirs manquèrent, parce que la population du Oualo est clair-semée non moins qu’indolente, et les ouvriers, qui vinrent de loin, exigèrent de hauts salaires, tout en abandonnant leurs maîtres aux momens d’urgence. La générosité officielle du gouvernement, en faisant espérer des gains chimériques, provoqua des dépenses exagérées, surtout pour les maisons, qui furent bâties avec trop de luxe. Ajoutons enfin que l’ambition de tout essayer, de tout acclimater, une des manies les plus ruineuses pour des particuliers, en même temps que l’une des plus agréables aux administrateurs, qui en recueillent la gloire sans en supporter les frais, fit gaspiller en stériles tentatives beaucoup d’intelligence, d’argent et de forces. Le cotonnier et l’indigofère, bien que croissant spontanément dans le pays, ne remboursèrent pas les avances : il arriva même qu’au lieu de s’en tenir aux espèces indigènes bien connues et d’une qualité excellente, l’on fit venir à grands frais des variétés exotiques qui trompèrent toutes les espérances. On eût cultivé l’arachide, qui enrichit aujourd’hui la Sénégambie, que le prix de revient n’eût pas été mieux couvert : conséquence inévitable de toute colonisation artificielle et arbitraire. Aussi, le jour où les allocations disparurent du budget, moins encore à raison des résultats trop faibles que des fraudes trop scandaleuses que se permettaient les planteurs, toutes les cultures furent immédiatement abandonnées, et les maisons elles-mêmes tombèrent bientôt en ruines. Il ne survécut que les belles, mais chères plantations du jardin officiel, à Richard-Toll[1], dont le nom perpétue la mémoire du fondateur, qui dirige aujourd’hui le jardin botanique de la Réunion, jusqu’au jour où des officiers les firent détruire, sous prétexte de se garder des embuscades, des Maures. M. le gouverneur Faidherbe en a relevé les débris et les a confiés à un ancien élève de nos écoles d’agriculture, à titre de pépinière d’essais et d’études. Cette restauration mérite d’être approuvée, tant qu’elle n’aspirera pas à devenir le foyer d’une nouvelle colonisation et à faire concurrence à l’industrie privée par le don gratuit ou la vente au-dessous du prix commercial des arbres, suivant le mauvais exemple des pépinières de l’Algérie.

  1. Jardin de Richard.