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tarda pas à devenir la plus importante, et dont Saint-Louis et Corée furent les entrepôts dans les parages du Cap-Vert. Au XVIIIe siècle, l’industrie européenne découvrit le rôle de la gomme, qui, après l’abolition de la traite des noirs, prit le premier rang, que lui dispute aujourd’hui l’arachide, une plante oléagineuse admise depuis quinze ans à peine sur les registres de la douane. Comme les livres, les marchandises ont leurs destins, leurs tours et leurs retours de fortune à travers lesquels on constate, avec un singulier intérêt, que les lois humaines tournent à mal lorsqu’elles brisent ce que nous pourrions appeler, en empruntant une expression à la philosophie de Leibnitz, l’harmonie préétablie entre le climat et les productions du sol pour y substituer des caprices humains. Ainsi de l’étude des faits locaux se déduisent quelques idées générales dont la science économique et politique peut s’enrichir.

La gomme est un premier et remarquable exemple de ces harmonies de la nature méconnues par l’homme, qui expie toujours son erreur. La substance qui, sous le nom de gomme arabique et de gomme du Sénégal, deux variétés similaires de composition, rend de si grands services à l’art médical par ses propriétés mucilagineuses, et à l’industrie pour l’apprêt des étoffes et des vernis, est un produit du climat saharien, précieux comme matière d’échange et quelquefois comme denrée alimentaire pour les populations qui habitent sur la lisière du désert, au sud principalement. On ne récolte la gomme qu’au voisinage de cette grande zone de sables qui traverse, de l’Océan-Atlantique à la Mer-Rouge, toute l’Afrique, et au-delà se prolonge sur l’Arabie jusqu’aux Indes. Au Sénégal, après que les vents d’ouest ont versé pendant quatre mois, sur un sol crevassé par les chaleurs tropicales, des torrens de pluie, qui, en plein été, constituent l’hivernage de ces contrées, par un soudain renversement de saison souffle le vent du nord-est, l’harmattan, qui s’est embrasé au contact du Sahara. En même temps que ses effluves brûlantes dessèchent les terres, elles contractent et fendent l’écorce des acacias, et en font couler, sous forme de larmes ovoïdes ou prismatiques, la gomme, qui bientôt se coagule au grand air et se livre, dans un état presque parfait de pureté, à la main de l’homme. La récolte est toujours en rapport avec la durée et la violence du vent. Il est la cause, elle est l’effet. Les forêts de gommiers qui abondent sur la rive gauche du fleuve, dans le Oualo, le Cayor, le Fouta et le Djiolof, non moins que dans le pays des Trarzas et des Braknas, furent d’abord, par suite de fausses vues politiques, en quelque sorte frappées d’interdit, car l’administration de Saint-Louis repoussa toutes les récoltes qu’y apportaient les noirs à l’instigation de quelques négocians. Le commerce de cette matière fut érigé en monopole au profit de nos amis d’alors, les Maures, et limité à certaines