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réfractaires, telles que les Mandingues du Bambouk et les Bambaras du Khaarta, en qui survit le fétichisme, tempéré il est vrai, par une vague croyance à un Dieu suprême. Par cela même, ce sont les deux classes de populations dont la France peut faire plus facilement des alliés d’abord, plus tard des sujets et des citoyens.

Pour le gouvernement des âmes, l’islamisme se personnifie dans les marabouts qui en sont les docteurs et les prêtres. Aux yeux de tout musulman, noir ou maure, le marabout est l’homme de Dieu. Toujours humblement vêtu, les jambes nues, les pieds chaussés d’une grossière semelle de cuir ou de bois, les mains et le cou entourés de chapelets à gros grains, il se prive de tout plaisir ; il jeûne rigoureusement pendant le rhamadan, se refusant alors un verre d’eau malgré les plus excessives chaleurs ; en toute saison, il consacre son temps à la prière, à la prédication, à l’instruction de l’enfance. Il s’abstient du commerce et n’amasse pas de fortune pour ses vieux jours ; la charité publique seule lui assure le couscoussou quotidien, et le peu qu’il recueille, il le partage toujours avec ses frères en pauvreté. Quand le soleil, montant ou descendant sur l’horizon, marque l’heure de la prière, on le voit se prosterner contre terre, sans respect humain, au milieu des rues et des places publiques, avec le même recueillement que dans la solitude des champs. Par son costume comme par ses allures, il rappelle le père franciscain du catholicisme. Les marabouts forment quelquefois des tribus entières, espèce de caste sacerdotale : tels sont, parmi les Trarzas, les Darmankours, d’origine berbère. Entourés de voisins redoutés pour leur férocité, ils présentent le remarquable et consolant contraste d’une existence pure de toute violence. Adonnés aux soins de leurs troupeaux et à la récolte des gommes, rarement ils portent des armes et jamais ne s’associent à aucune razzia. Quand la guerre vient troubler le pays où ils vivent, d’ordinaire ils fuient devant l’attaque sans résister. Ce sont les quakers de l’islamisme. Avant la suppression des escales, ils en possédaient une pour eux seuls, où ils apportaient leurs gommes, sans que le roi même des Trarzas osât réclamer aucune taxe, ni entraver leurs opérations. Tant que n’éclate pas une guerre ouverte, ils obtiennent du gouvernement de Saint-Louis l’autorisation de fréquenter cette ville et d’y trafiquer librement. Une religion capable d’enfanter de tels phénomènes recèle assurément sous sa rude écorce quelque sève de grandeur morale.

C’est par les marabouts, venus des divers états de la Sénégambie, que le mahométisme se soutient à Saint-Louis. Ils y tiennent des écoles, où leur zèle ardent attire les enfans des deux sexes, à qui ils enseignent ce qu’ils savent eux-mêmes, peu de chose assurément ; néanmoins, la lecture et la récitation du Koran entraînant, comme condition indispensable, une connaissance grossière de la lecture et