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ils se placent comme interprètes, courtiers, tisserands, manœuvres. Les Hayor, qui viennent du Cayor, sont tous manœuvres. Il est enfin un dernier groupe, le plus misérable de tous, qui a droit à une mention malgré son rôle tout passif : ce sont les Pourognes, ou captifs de Maures, affranchis par la fuite ou par la guerre, qui les a fait tomber en nos mains. Les uns sont natifs du pays des Sérères, entre le Cayor et la Gambie, où les Maures faisaient, malgré la distance, de fréquentes incursions avant que les Français n’y missent ordre. Les autres sont nés de l’union des Maures avec leurs négresses esclaves et non musulmanes. Généralement abrutis et amaigris par un long et dur esclavage, ces malheureux parias ont besoin de quelque temps de séjour et d’air libre à Saint-Louis pour reprendre conscience de leur personnalité. Les noirs de la ville, affranchis de la veille qui aiment à se donner des airs de maîtres, emploient volontiers les Pourognes dans l’intérieur de leurs cases.

Longtemps les idées et les occupations de cette population, bien hétérogène, comme on voit, se tournèrent presque exclusivement d’un seul côté, la traite des gommes dans les escales, le transport, le triage et l’expédition de ce produit à Saint-Louis. Il en résultait toute une classification méthodique et fixe, correspondant à une division régulière du travail. Les négocians européens qui résidaient à Saint-Louis fournissaient les toiles bleues de coton ou guinées de l’Inde, principal article de trafic. Les traitans, qui composaient la classe presque entière des hommes de couleur, portaient et plaçaient ces guinées aux escales en échange des produits du pays. Sous le nom de laptots, les esclaves et les noirs pauvres servaient comme matelots à bord des navires qui montaient et descendaient le fleuve. Le chargement et le déchargement des marchandises occupaient le reste de la population inférieure. Cet ordre, que l’habitude semblait avoir consacré pour toujours, a été fort dérangé par les mesures qui ont fait succéder la liberté à l’esclavage. Aux traitans, intermédiaires qui avaient à prélever leur propre bénéfice, et souvent revenaient ruinés et insolvables, plusieurs négocians ont substitué de simples commis, salariés et intéressés ; les engagés à temps, qui, sous les yeux et quelquefois à l’insu de leurs maîtres, s’étaient initiés aux pratiques de la traite, sont devenus les instrumens dociles de cette nouvelle combinaison.

Voilà pour la capitale de la colonie. Hors de l’île qu’elle occupe, mais dans la dépendance immédiate de l’autorité française, habitent deux tribus, détachées depuis quelques années des états ennemis. L’une est la tribu des Ouled-bou-Ali, fraction des Trarzas ; l’autre est celle des Peuls, fraction de la grande famille de ce nom, dispersée dans la plupart des provinces de la rive gauche. Les premiers comptent deux cents âmes, les seconds trois cents. En retour