— Il te faudrait de l’argent, n’est-ce pas ? dit-elle d’une voix brève. Combien te faut-il ? Parle, mon fils, je te le donnerai !
— Hélas ! ma mère, répondit Marcel, il me faudrait trois cents francs pour imprimer ma thèse, et c’est demain que je devrais la remettre à l’imprimeur !
— Trois cents francs, c’est beaucoup en effet, et pour demain c’est bien peu de temps, répondit Madeleine. On ne peut penser ni aux dames de Presle, qui sont loin, ni à ton père, qui ne pourrait rassembler si vite cette somme. Cependant calme-toi, tâche de reprendre tes travaux, car, j’en réponds, je me procurerai demain cet argent.
Marcel désira qu’avant de tenter aucune autre démarche, sa mère s’adressât à M. Rinas. Bien qu’avec une certaine répugnance, Madeleine y consentit. S’enveloppant de sa mantille, elle recommanda à Rose son cousin, embrassa Marcel et courut chez le vieux docteur. La pauvre mos revint bien tard au petit logis de la Rue-Basse. Elle avait vu le riche docteur et n’avait rien obtenu. Les ânes étaient remisés dans une petite cour, au bas de l’escalier, Rose dormait sur une chaise. Marcel attendait, dans l’agitation de la fièvre, le retour de sa mère. Un regard lui apprit la triste vérité ; mais Madeleine en atténua le douloureux effet en souriant à de nouveaux projets qu’elle promit de révéler à son fils le lendemain matin, s’il consentait à s’endormir paisiblement.
Au point du jour, Marcel dormait encore ; ses paupières étaient closes par un sommeil doux et réparateur. Sa respiration était régulière, son pouls calme. Madeleine avait préparé sans bruit le départ de Rose. La réveillant doucement : — Ma fille, lui dit-elle, il te faut partir ; j’ai bâté et bridé ton ânesse, car je veux qu’avant ce soir tu puisses retourner à Fabriac. Nos hommes doivent être très inquiets sur nous et nos ânes. Tu diras à mon mari que Marcel est souffrant, et il ne me blâmera pas d’être restée pour le soigner ; adieu, ma fille.
— Ma tante, répondit Rose, je ne veux pas vous laisser ainsi toute seule avec un malade. Qui vendrait nos charges ?
— Vois, reprit Madeleine, ce qu’il en reste ; quelques fagots de sarmens qui suffiront à peine à réchauffer la chambre… Ton cousin aura besoin aussi des autres provisions. Il n’y a que le vinaigre qui soit inutile. Prends-le, vends-le en t’en allant. Tu auras de quoi déjeuner, toi et ton ânesse.
Ce fut en vain que la jeune femme insista pour rester ; Madeleine s’y opposa avec une douce fermeté, et le soleil levant éclaira la jeune paysanne criant à plein gosier son vinaigre à travers les faubourgs.