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descendue précipitamment, remonta bientôt avec Rose. En un clin d’œil, les deux femmes eurent donné un aspect comfortable à la chambre et préparé de bons cordiaux pour Marcel. Pendant que Madeleine frottait les tempes de son fils avec son excellent vinaigre, qu’elle lui faisait avaler péniblement quelques gouttes de vieux vin entre ses lèvres contractées, Rose mettait devant le feu des pots de toute grandeur pour préparer des bouillons et des tisanes. Elle garnissait et allumait la petite lampe qu’on appelle pompe dans le pays, et que Marcel avait apportée de Fabriac pour s’éclairer le soir.

Cependant, comme le vieux docteur restait assez impassible, se bornant à ordonner d’un air compassé quelques remèdes insignifians : — Merci, lui dit Madeleine, qui, avec ce coup d’œil pénétrant qu’ont les mères pour lire dans le cœur de ceux qui entourent leur enfant, avait deviné un égoïste ; merci, monsieur le docteur, vous vous êtes assez dérangé pour du pauvre monde comme nous. Donnez-moi seulement votre adresse, afin que ma nièce puisse aller vous chercher si mon fils se trouvait plus mal… Mais, Rose, il me semble qu’il a remué !

En effet, au moment où le docteur se retirait et fermait doucement la porte, Marcel se réveillait comme d’un long sommeil. Il semblait qu’il eût attendu, pour revenir à la vie, que ses yeux ne pussent s’arrêter que sur des êtres tendres et dévoués. Il se crut le jouet d’un doux rêve ; mais quand il sentit les baisers et les larmes de sa mère inonder son visage, lorsque Rose lui offrit un bouillon, il fallut bien croire à la réalité. Marcel sourit à ces deux anges gardiens et avala le breuvage bienfaisant. Une heure après, il était assis sur son lit, reconforté, revenu à lui-même, et la force de la jeunesse aidant, ses yeux avaient repris leur éclat, ses lèvres leur sourire, son cœur ses battemens réguliers. Il se sentait heureux de vivre pour cette mère aimée penchée vers lui, pour l’espérance, pour l’amour. Rose et Madeleine l’entretenaient de sujets rians ; elles voulaient lui faire trouver doux le réveil à l’existence. À l’aspect de sa chambre si joyeusement animée, si chaude et si bien éclairée, il oublia un moment le passé ; son long évanouissement lui avait laissé cette confiance insouciante de l’enfant qui goûte les biens sans en rechercher la source, sans se demander s’ils dureront. Tout à coup la vue du rosier mort gisant dans un coin, sa thèse froissée dont les feuillets étaient épars sur la table, lui rappelèrent ses souffrances et le ramenèrent à la réalité. — Ah ! pourquoi m’avez-vous réveillé ? dit-il à sa mère.

Madeleine écoutait, l’oreille tendue et l’œil humide, les discours incohérens qui suivirent ces brusques paroles.