Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/832

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’était qu’une illusion de son rêve ; mais comme elle se fit entendre de nouveau, la bonne mos reconnut enfin la réalité. Elle frappa à la petite porte de la maison avec ses plus gros fagots sur la tête. Elle monta à tâtons un petit escalier raide et obscur, et, guidée par une faible lueur qui perçait à travers les planches mal jointes d’une vieille porte, elle s’orienta vers la chambre d’où on l’avait appelée. Au bruit que firent les sarmens heurtés contre les parois de l’étroit corridor, la même voix lui cria d’entrer. Madeleine ouvrit ; mais, saisie de surprise et de douleur, elle laissa tomber ses fagots sur le seuil : la pauvre mère venait de reconnaître son fils pâle, inanimé, dans les bras d’un étranger qui s’efforçait en vain de le rappeler à la vie.

La mos s’élança vers Marcel, le couvrit de larmes et de baisers, le réchauffa sur son sein et le mit promptement au lit. Pendant ce temps, l’inconnu, qui était le médecin dont Marcel avait cru pouvoir solliciter la protection, M. Rinas, allumait le feu, et, après s’être réchauffé les mains à la flamme vive qui éclairait la pauvre chambrette de reflets joyeux auxquels elle n’était guère accoutumée, il alla tâter silencieusement le pouls du jeune homme. La pauvre mère le regardait avec anxiété.

— Il est bien malade, n’est-ce pas ? ne me cachez rien, dit-elle avec courage, je suis sa mère.

— Non, la mère[1], répondit le docteur, croyant que Madeleine, par un hasard heureux, se trouvait la nourrice de Marcel, le cas n’est pas grave. Ce n’est qu’une syncope occasionnée par le froid, le travail, la fatigue… et la faim peut-être, ajouta-t-il en baissant la voix.

Madeleine jeta un regard désespéré autour d’elle ; le misérable aspect de la chambre n’accréditait que trop cette dernière supposition.

— Ah ! mon Dieu ! s’écria-t-elle en se tordant les bras. Et j’étais ici ce matin, et j’aurais pu épargner à mon fils ce cruel évanouissement !

M. Rinas dit à Madeleine qu’il était arrivé du Dauphiné le matin même. Il avait appris que Marcel l’avait fait demander, il était accouru chez lui, pensant qu’il s’agissait d’une question importante pour son concours ; il était loin de s’attendre à le trouver dans ce triste état. Malheureusement le vieux docteur appartenait à cette classe d’égoïstes qui s’intéressent au succès et non au malheur d’autrui. Son amitié pour Marcel diminuait donc rapidement en raison de la fâcheuse position dans laquelle il le voyait, et la présence de Madeleine parut le soulager visiblement. La bonne mos, qui était

  1. Dans le midi on appelle souvent mère les nourrices.