Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/831

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

volonté opiniâtre ni par la nature nerveuse de Madeleine, s’était paisiblement endormie de ce bon et chaud sommeil de la jeunesse qui saisit après la fatigue et endort aux souffrances le corps comme l’esprit. La jeune paysanne ne sentait ni le froid qui glaçait son visage, ni la faim qui tiraillait ses entrailles, ni les gouttes de pluie qui tombaient sur son front ; elle dormait calme, heureuse, insouciante, rêvant le bonheur aussi bien sur cette froide pierre qu’elle aurait pu le faire sur un oreiller de satin. Les derniers reflets d’un terne crépuscule d’hiver se jouaient tristement sur son pâle visage, et son chapeau dénoué l’entourait d’une noire auréole qui faisait ressortir toute la grâce et la poésie de sa tête souriante et belle comme celle des madones italiennes.

— Pauvre Rose ! comme elle dort bien ! se dit Madeleine après s’être penchée sur elle et avoir senti la vie, la jeunesse et la santé courir en un sang chaud et généreux dans les veines de la jeune femme. — Puis elle la couvrit de sa propre mantille et de la cape du Gris. — Bonne Rose ! pensait la tendre mos, il ne faudrait pas qu’une fluxion de poitrine fût la suite de ton dévouement ; moi, je peux m’agiter, je ne prendrai pas mal. Elle est bien là, et les ânes aussi. Cette rue est déserte, personne n’y passe : tant mieux, nous ne serons pas dérangées. Nous pourrions peut-être même y passer toute la nuit : cela serait autant d’économisé… Mais mon Lavenou que je ne verrai pas ! car je ne peux pas laisser Rose toute seule ici…

Une raffale de vent vint interrompre le monologue de Madeleine et emporter sa mantille, qui, des genoux de Rose, descendit la rue en tournoyant jusqu’au boulevard, où la pauvre mos la ramassa, toute souillée de neige et de boue. Elle la mit sécher sur les fagots que portait le Gris ; puis, épuisée, exténuée, elle se laissa aller à terre à côté de Rose, et s’endormit non du sommeil bienfaisant de sa compagne, de ce sommeil réparateur propre à la jeunesse, qui donne au corps sa souplesse et sa force, à l’esprit son repos et sa quiétude, mais de ce sommeil fiévreux qui fatigue et use autant qu’une veille agitée, qui fait renaître dans les toitures du cauchemar les plus douloureuses pensées de la vie. Obsédée par ce sommeil, qui tient à la fois de l’engourdissement et du délire, Madeleine s’écriait de temps à autre d’une voix lamentable et rauque : Qui veut du vinaigre ? qui veut des sarmens ?

Tout à coup une fenêtre, celle-là même que le Gris regardait avec tant d’obstination, s’ouvrit au-dessus de Madeleine ; une tête s’avança, et une voix cria : — Eh ! la bonne femme, pourriez-vous vite apporter ici quelques-uns de vos fagots de sarmens ?

Madeleine, réveillée en sursaut, pensa d’abord que cette voix