Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/817

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de triste ; Pour chauffer leurs cuisses, selon leur expression, les paysans se jettent sur la barre de leur pressoir pendant plusieurs jours avant les vendanges. Leurs cuisses bleuies d’abord par ces coups répétés, finissent par s’endurcir à ce singulier martyre, et lorsque la décuvaison arrive, elles sont tout à fait aguerries et prêtes à supporter sans douleur les chocs les plus violens.

Les habitans de Fabriac voient arriver à l’époque des vendanges une multitude de paysans nés dans les misérables hameaux qui avoisinent la Montagne-Noire, située non loin de Castres, dans le département du Tarn. Ces montagnards viennent gagner en un mois dans la plaine de quoi vivre toute l’année au fond de leurs étroites vallées, riches en végétation, mais fort pauvres en produits. Les paysans languedociens sont très durs pour eux. Les malheureux montagnards, qui devraient inspirer une véritable compassion, sont souvent maltraités, et servent toujours de point de mire aux railleries de la bande des vendangeurs où ils sont enrôlés. L’agriculteur qui a loué une bande de ces paysans leur donne un grenier et de la paille pour se reposer la nuit de leurs fatigues du jour. Ils sont là, pêle-mêle, hommes, femmes, enfans, se nourrissant de raisins et d’une soupe grossière qu’ils font le soir en commun et qu’ils mangent à la gamelle. Aussi ces véritables parias resserrent-ils entre eux leurs liens d’affection ; ils se lèvent, marchent, travaillent, mangent, dorment toujours par troupeaux. Le soir, au retour des vignes, ils dansent leurs bourrées nationales, non pour se réjouir mais en souvenir de leur pays, et quelquefois de grosses larmes coulent silencieusement sur les joues des jeunes filles, qui pensent au temps heureux où elles les dansaient si joyeusement sur le seuil de leurs chaumières. Les plaines les plus fertiles, les cités les plus brillantes, ne peuvent compenser pour ces pauvres gens les noyers séculaires, les châtaigniers qui les nourrissent, et leurs misérables cabanes. Il leur faut la fraîcheur de leurs vallées, le parfum de leurs prairies, leurs montagnes de neige et la quenouille de la veillée.

Le mariage de Rose et de Jean fut célébré après les vendanges, époque fixée d’ordinaire pour les unions des paysans, qui sont libres et riches alors. Noélie offrit à la jeune mariée sa blanche couronne nuptiale. Rose convoqua le ban et l’arrière-ban de la gent féminine à venir admirer le joli présent de la jeune châtelaine ; mais quelle surprise, en soulevant la guirlande, d’apercevoir au fond du coffre une magnifique chaîne d’or à trois rangs ! La chaîne d’or est pour la paysanne ce qu’est le cachemire de l’Inde pour la petite bourgeoise, ce que sont les diamans pour la femme du monde.

La santé chancelante de Mme de Presle ne lui permettait que rarement de suivre Noélie dans de longues promenades champêtres ; mais l’excellente veuve, qui désirait ne pas priver sa fille d’un exercice