Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/814

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ôta soigneusement les épines des roses du Bengale. — Je voudrais, dit-elle à Marcel, pouvoir enlever ainsi toutes les épines de ta vie… Je sais que tu aimes Noélie, reprit-elle après un moment de silence en se penchant vers son fils, et je guettais ton réveil pour t’annoncer qu’un exprès est venu hier soir de Sainte-Croix avertir M. Dutal que la sœur de sa femme, religieuse dans ce couvent, est dangereusement malade, et qu’elle demande à voir sa nièce. Nina va donc partir.

Et comme Marcel ne put dissimuler sa joie à cette nouvelle. — Pécaïre ! reprit en soupirant Madeleine, as-tu pensé au rang de Mlle de Presle ?

— Hélas ! répondit Marcel, oui, je le sais, un abîme me sépare d’elle ; mais laissez-moi l’aimer, ma mère. Tout à l’heure je rêvais qu’au bout d’une verte prairie, Noélie en robe blanche effeuillait des roses dans votre grand chapeau, et vous la regardiez avec votre doux et triste sourire. Laissez-moi goûter à mon réveil cette idée consolante que vous, qui seule avez le secret de nos amours, vous les protégerez. Savez-vous, ma mère, quels sont mes vœux et mon avenir à moi ? C’est de voir se lever le soleil là où Noélie reçoit ses rayons bienfaisans, c’est de respirer le même air qu’a respiré son haleine, c’est de fouler le sable qu’ont effleuré ses pas. Tenez, ma mère, ajouta-t-il, montrant par la croisée ouverte sur le jardin une échappée de guarigues, voyez-vous dans le lointain le château de Saint-Loup, ce point noir qui se dessine sur une ligne bleuâtre ? C’est l’horizon de mon bonheur. Noélie saura-t-elle mon amour ? oserai-je jamais le lui dire ? y aura-t-il un lendemain à cette félicité qui me berce et qui m’enivre ? Je n’en sais rien, je ne veux pas le savoir. Ah ! laissez-moi l’illusion, le rêve, le mirage de mon amour !

— Il faut mettre notre confiance en Dieu et notre espoir dans l’avenir, mon Lavenou, lui répondit Madeleine. Ne te tourmente pas ainsi, pourquoi douter si vite ? Tiens, voilà de belles grenades de notre jardin que j’ai promises à Mme de Presle, ajouta-t-elle en lui remettant un petit panier de fruits ; tu les porteras demain à Saint-Loup, dès que Nina sera partie. Tu mettras ton habit, tes gants ; fais-toi bien beau. Dieu veuille que Mme de Presle te voie d’un bon œil ! Sois surtout aimable envers elle, et tâche de lui plaire comme médecin.

La pauvre Madeleine, en regardant son fils, eut un moment de douce fierté, car elle pensa qu’à la place de Mme de Presle elle serait heureuse d’avoir Marcel pour gendre. Un rayon d’espoir fit briller ses yeux comme deux étoiles ; mais ce ne fut qu’une impression fugitive, bientôt dissipée par la vue du notaire et de sa fille. Ceux-ci