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chaudes, parviennent à de très grandes hauteurs, et offrent souvent sur leurs tiges flexibles, plus de fleurs que de feuilles. La jeune fille se sentait attirée vers ces pâles roses dont elle semblait la sœur. Dès sa plus tendre enfance, elle avait aimé à s’entourer de ces fleurs délicates et suaves ; elle abritait avec tendresse pendant la rude saison leurs pauvres, têtes bleuies par le froid. L’odeur des roses à cent feuilles était trop énergique pour les nerfs de Noélie. La suave senteur, à peine perceptible, que dégagent les pétales des roses du Bengale avait juste assez d’arôme pour cette fine organisation.

Un léger bruit détourna bientôt l’attention de la jeune rêveuse, qui ne put retenir un petit cri de surprise et de bonheur en reconnaissant Marcel. Le jeune homme n’avait pas osé s’en retourner avec son père, qui ignorait sa présence au château, et qui l’eût sans doute vertement réprimandé pour avoir aidé le jeune Hector à tromper Mme de Presle. Il avait donc laissé partir maître Lavène, et, guidé par l’instinct de l’amour, il était arrivé sous la croisée de Noélie. La jeune fille mit un doigt sur ses lèvres pour inviter Marcel au silence, car sa mère ne devait pas être endormie ; puis elle cueillit ses plus belles roses, en fit un bouquet, le noua avec le ruban bleu enlevé à son chapeau de paille, et par un geste pudique et espiègle, gracieux et rapide tout à la fois, elle le lança au jeune homme. Marcel reçut sur son cœur ce charmant message d’amour, Noélie avait cru d’abord n’obéir qu’à un caprice sans conséquence ; mais aux palpitations tumultueuses de son cœur elle comprit que l’envoi de son bouquet était un gage, et, tout émue de la spontanéité d’un élan qui ne lui avait pas permis la réflexion, elle referma ses volets, non sans regarder encore Marcel à travers les larges fentes qu’y avaient ouvertes la sécheresse et la vétusté.


III

Le lendemain matin, le soleil était déjà levé que Marcel dormait encore, l’esprit agité par des rêves charmans. Debout à son chevet, sa mère épiait son réveil. La figure de Madeleine trahissait une vive inquiétude. La pauvre mère allait, venait, semblait prendre la résolution d’éveiller son fils, puis se retirait doucement. Au moment où Marcel ouvrit les yeux, Madeleine aperçut le bouquet de roses de Noélie ; elle le regarda tristement.

— Ah ! pécaïre ! dit-elle, mon cher enfant, si ton père avait vu ces fleurs, nous étions perdus, car elles viennent du château, n’est-ce pas ?

Un oui affaibli par l’émotion fut la seule réponse de Marcel. Madeleine