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qu’il a trahie. Combien la plupart des unions qui se forment dans nos cités ressemblent peu à ces amours si chastes dans leur abandon, si nobles dans leur simplicité ! Maître Dutal et maître Lavène avaient malheureusement dans leurs projets matrimoniaux imité les messieurs plutôt que les villageois. Ils ne s’étaient pas demandé si leurs enfans s’aimeraient, mais si les intérêts de la fortune de feue Mme Dutal s’ajouteraient à la dot de Nina, et quelle serait la somme qu’on offrirait au vieux médecin de Fabriac pour le décider à quitter le pays et abandonner sa clientèle à Marcel. Maître Lavène n’avait pas mis un seul instant en doute l’obéissance passive de son fils, car il trouvait tout naturel qu’elle s’inclinât devant les droits sacrés de la paternité. Du reste, il supposait que Marcel serait très heureux d’épouser une jeune fille riche et bien élevée. L’idée de sacrifice ne lui était pas venue à l’esprit, mais bien celle de reconnaissance. Madeleine, avec ce tact féminin qui dans certains cœurs maternels est une véritable intuition, soupirait tristement à l’idée de l’union projetée. Il lui semblait que Marcel ne pourrait y trouver le bonheur, et elle priait Dieu de changer la résolution de son mari. Elle enviait pour son fils le sort heureux de Rose, qui avait donné son cœur, deux Pentecôtes passées, à Jean, bon et laborieux jeune homme, le premier aux vignes et à la danse. Bien que cette tendre affection ne fût un secret pour personne, que tout le village l’eût sanctionnée de son assentiment, et que Jean fût admis comme un fiancé dans la maison de Lavène, le nom et la présence du jeune vigneron amenaient toujours sur le front de sa jeune promise cette rougeur adorable qui est la révélation d’un pudique amour.

Un coup sec frappé à la porte d’entrée fit tressaillir Rose, qui pensait à Jean ; elle courut ouvrir, mais, au lieu de Jean, la personne qui entra était notre jeune voyageur du chemin de Fabriac, c’était Marcel ! Rose commença, tout interdite, une belle révérence que le nouvel arrivé interrompit par un baiser bruyant, et, sautant dans la salle basse, il courut se jeter dans les bras de sa mère.

— Tu es docteur au moins ? s’écria maître Lavène en pensant aux frais de thèse pour lesquels Marcel avait obtenu un supplément à sa modeste pension.

— Je ne serais point revenu sans mon diplôme, répondit le jeune homme, qui, tirant un large pli de son sac, l’offrit fièrement à son père.

Rose riait, Madeleine pleurait, toutes deux s’émerveillaient qu’il fallût si peu de temps et si peu de chose pour faire d’un homme un médecin. Marcel, qui désirait surprendre ses parens par la double joie de son succès et de son retour, leur avait épargné les incertitudes des examens, et rien dans sa dernière lettre ne trahissait sa