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Un peintre eût trouvé que Rose était séduisante de fraîcheur, de jeunesse et de beauté dans son rustique costume de vendangeuse. Son visage avait ces tons chauds dont Murillo a doté ses brunes madones, et que le soleil du midi répand sur le teint de ses enfans privilégiés, comme il donne à ses fruits le duvet velouté qui en fait l’éclat. Un petit bonnet en indienne lilas avait bien de la peine à contenir sa soyeuse et brune chevelure. La basquine qui emprisonnait sa taille cambrée, le court jupon qui laissait voir sa jambe fine et son bas bleu, le tablier dont les grands nœuds tombaient par derrière, étaient d’une toile si fine et si blanche, qu’on aurait cru que ce costume était un travestissement de fantaisie. La physionomie de Rose respirait un air de franchise et de bonté engageantes.

Mlle Nina ne disait mot. Elle pensait à ses cartons, qui sans doute étaient sens dessus dessous dans sa chambre, et elle ne répondait que par un regard courroucé aux questions pleines de sollicitude que lui adressait son père. Le notaire de Grabel, s’étant trouvé veuf de bonne heure, avait concentré sur sa fille toute son affection, qui avait fini par dégénérer en une insigne faiblesse. Il avait fait élever Nina dans un pensionnat de Montpellier, et depuis son retour il subissait la tyrannie de cette enfant avec une résignation aveugle. C’était un homme doux, paisible, qui, pour éviter la moindre discussion, aurait consenti à exécuter tous les caprices de sa fille. Mlle Dutal était le type de ces créatures neutres qui ne sont ni demoiselles ni paysannes. Elle était la fiancée de Marcel. C’était chose convenue entre les deux pères : Nina épouserait le nouveau docteur dès qu’il serait de retour. La jeune demoiselle se promettait un grand plaisir d’être dame et d’aller choisir ses cachemires à Montpellier. Le mari était un accessoire ; elle ne le connaissait pas, mais elle espérait qu’il arriverait en habit noir, cravaté de blanc, ganté de jaune et orné de moustaches à la Van-Dyck. C’était tout ce que désirait cette tête légère, qui ne raisonnait plus comme une humble paysanne, mais comme certaines poupées de la ville.

Les villageois du midi jouissent dans leurs amours d’une liberté naïve et touchante. À quinze ans, ils se choisissent, ils s’aiment, ils se le disent. Pendant plusieurs années, ils sont amans et fiancés. Les soucis du ménage ne viennent que plus tard s’abattre sur leur tête. Dès que le jeune homme a ramassé la somme nécessaire pour acheter ou faire bâtir une maisonnette, et la jeune fille les quelques écus qui doivent servir à son modeste trousseau, le curé bénit une union que la famille a depuis longtemps ratifiée. La pureté et la constance qui règnent ; dans ces mœurs de l’âge d’or sont telles qu’un exemple d’infidélité de part ou d’autre est fort rare. Celui qui abandonnerait sa promise se déshonorerait, et l’indignation publique le forcerait à quitter le village, s’il ne consentait à rendre le bonheur à celle