Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/791

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les brutalités de son mari n’avaient que trop vengé les nombreuses victimes qu’avaient faites ses anciennes coquetteries. Dès lors on n’entendit plus parler du signor Neroni, et la signora resta à la charge de ses parens. Les leçons de la Providence avaient été perdues pour elle, et cet accident affreux ne l’avait pas rendue meilleure. Toujours belle malgré ses infirmités, elle trônait sur le sopha qu’elle ne quittait plus, et se plaisait encore à émouvoir et à torturer les cœurs qui l’approchaient.

Le jeune frère de Madeline, Ethelbert, lui ressemblait presque en tout point. Il était comme elle léger, vaniteux et coquet, mais exempt de méchanceté. Ses nombreuses sottises ne faisaient tort qu’à lui-même. Depuis longtemps, il avait dépassé l’âge de la première jeunesse, et il en était encore à faire choix d’une profession. Il avait été élevé pour l’église, ne s’était senti aucun goût pour la vocation ecclésiastique, et s’en était allé achever ses études dans une université allemande, d’où il avait rapporté toute sorte de notions fantastiques inconnues en Angleterre. Il essaya de l’étude du droit, s’en dégoûta bien vite, et résolut de se faire artiste. Il partit pour l’Italie, et quelque temps après son départ étonna sa famille en lui écrivant qu’il avait embrassé le catholicisme, qu’il était protégé par les jésuites, et qu’il allait partir pour la Judée comme membre d’une mission chargée de convertir les Juifs. Ce furent les Juifs qui le convertirent. Il embrassa le mosaïsme, et annonça à ses parens qu’ils recevraient la visite d’un prophète juif qui l’avait traité avec bonté en Palestine. Le prophète vint en effet à la villa Stanhope, s’y établit contre le gré des habitans, et déclara qu’il ne partirait pas avant d’avoir touché l’argent qu’il avait prêté à Ethelbert. Le mosaïsme n’avançant pas la fortune de ce dernier, il revint à la religion de ses pères. Lorsque sa famille fut de retour en Angleterre, Ethelbert songea de nouveau à entrer dans les ordres ; mais cette pensée n’était pas plus sérieuse que les autres, et il continua à vivre dans la fainéantise, le dilettantisme et les flirtations. Il aimait à étonner par la singularité de ses vêtemens et à bouleverser les idées de ses interlocuteurs. Il faisait la cour à toutes les femmes indistinctement, sans aucun scrupule de conscience et sans souci des conséquences que sa légèreté pouvait entraîner. Dépourvu de préjugés et en même temps de haute moralité, il n’avait aucun respect pour le rang et aucune aversion pour la mauvaise compagnie. Souple, familier, il étonnait plus qu’il ne choquait, plaisait souvent et ne scandalisait jamais.

Que pensez-vous de cette famille de hauts dignitaires de l’église anglicane ? Madeline Stanhope est-elle la fille d’une danseuse ou la fille d’un clergyman ? Ethelbert est-il un dandy dilettante ou un