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sa famille presque sans interruption pendant les quinze dernières années, et avait oublié, au milieu des musées et des palais païens, ses devoirs et presque son éducation. Se rappelait-il sa liturgie, et était-il capable encore de célébrer l’office divin ? C’était une question controversable. M. Stanhope était le plus indolent des hommes, et quand il sortait de son indolence, c’était pour entrer dans des accès de colère furieuse, fort impuissans à réparer les désastres qu’il n’avait pas eu la force de prévenir. Les désastres, en effet, pleuvaient sur la famille. Quoique la fortune de sa femme fût considérable et que son revenu annuel dépassât la somme énorme de trois mille livres sterling, il avait descendu, sans y songer, les degrés qui conduisent au gouffre de la dette, si bien qu’il était probable que cet homme opulent laisserait ses enfans à peu près sans ressource. C’étaient là de grands soucis, mais tous les soucis s’évanouissaient, pour M. Stanhope, en présence d’une table bien servie, car il avait au plus haut degré ce vice qui s’allie à la paresse, la sensualité. Mistress Stanhope était une femme naturellement vaine et mondaine, que le far niente de la vie italienne avait encouragée dans ses défauts. La paresse était pour elle le seul état désirable dans la vie. Du gouvernement d’une maison, elle ne comprenait rien que la décoration intérieure et les détails de luxe et de comfort. Le chef véritable de la maison était Charlotte, la fille aînée, personne active, diligente et coupable, qui avait encouragé les folies de sa famille, afin de conserver la direction suprême du ménage ; mais à l’exception de Charlotte les enfans dépassaient encore en excentricité vicieuse leurs excentriques parens.

Madeline Stanhope, la seconde fille, avait fait son éducation en Italie, dans les salons de Milan, dans les villas du lac de Côme, dans les bals de Florence, dans les théâtres de Naples. Elle unissait à une beauté surprenante un cœur sec et une âme vide. Elle avait donc passé sa jeunesse à donner des tentations aux hommes et à désespérer par ses coquetteries ses nombreux admirateurs. Elle avait été la cause volontaire de duels nombreux qui flattaient sa vanité cruelle, et s’était acquis une réputation très méritée d’immorale légèreté. De brillans cavaliers avaient plus d’une fois recherché sa main, et elle les avait renvoyés humiliés ou désespérés ; mais, comme il arrive d’ordinaire, elle finit par choisir le plus indigne de ses adorateurs. Elle épousa un aventurier italien, capitaine dans la garde papale, moitié soldat, moitié espion, nommé Paolo Neroni. Après six mois de vie conjugale à Rome, elle revint chez ses parens, sans autre bagage que les vêtemens qu’elle portait sur elle, mais infirme pour le reste de ses jours. On présuma, car elle n’osa avouer la vérité et on n’eut pas le courage de la lui arracher, que