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les campagnes ; le directeur du collège de Kemperlé fut nommé à la cure d’Arzannô. Un certain nombre de ses élèves l’y suivirent ; telle fut l’origine de cette école où les enfans des villes étaient mêlés aux jeunes paysans du bourg, et qui a fourni, me dit-on, des sujets d’élite aux carrières les plus différentes.

Le digne curé, par le charme de son esprit comme par la bonté de son cœur, avait le don de s’attacher ses écoliers pour la vie, et aujourd’hui encore, après tant d’années, ceux qui l’ont connu ne peuvent en parler sans larmes. « Il devait savoir maintes choses par intuition, m’écrit celui que j’ai appelé en témoignage, ou bien il avait prodigieusement travaillé dans sa jeunesse, car, à l’époque où je l’ai connu, il ne lisait plus guère que Bourdaloue, César, Virgile, et cependant il parlait de tout d’une manière intéressante. Il disait admirablement les vers, et il savait des poèmes entiers par cœur ; je l’ai vu amoureux de Virgile et de l’Enéide. Enthousiaste et spirituel dans la conversation, il était brave en tout, brave d’esprit et de corps. Bien qu’il se livrât sans cesse avec une familiarité expansive, jamais on ne surprenait en lui quelque chose de commun ; dans ses moindres actes, comme dans ses sentimens et ses paroles, il y avait toujours une dignité naturelle. Joignez à cela des allures élégantes, faciles, et vous jugerez quelle influence un tel homme devait avoir sur des enfans qu’il ne quittait presque jamais. Dieu et ses écoliers, c’étaient là toutes ses pensées. La vie matérielle lui était complètement indifférente ; il n’y pensait qu’à l’occasion des pauvres, car il était charitable à tout donner. Si on lui adressait quelque observation à ce sujet : « Je n’ai connu personne, disait-il, qui se soit ruiné à faire l’aumône. »

« Il avait, — je laisse encore la parole à l’élève du curé d’Arzannô, — il avait la passion de l’enseignement. Que de fois pendant la terreur il sortait des granges, des meules de foin où il avait été obligé de se blottir, et s’en allait retrouver ses élèves dans les fermes et les châteaux ! Chargé de la cure d’Arzannô, les devoirs de son ministère, qu’il remplissait scrupuleusement, ne l’empêchaient pas d’être tout à son école. Plus tard, épuisé par l’âge, privé de la vue, le corps paralysé, il s’était retiré chez sa belle-sœur ; une de ses nièces lui faisait la lecture ; elle lui lisait son bréviaire d’abord, puis de longs passages des Géorgiques ou de l’Enéide, et le bon vieillard prenait encore plaisir à traduire, à expliquer son cher poète à ceux qui l’entouraient. »

Ne surprend-on pas ici quelques-unes des inspirations familières à Brizeux ? Ce vieux prêtre breton qui toute sa vie a lu son Virgile aussi fidèlement que son bréviaire, n’est-ce pas le digne maître de l’auteur de Marie ? Lui aussi, plus tard, il se composera un bréviaire où Virgile aura sa place. Qu’on se rappelle cette pièce de la