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trop ornés ; au fond, s’il eût dit sincèrement sa pensée, il aurait déclaré que c’étaient là de pauvres moyens de parler à l’imagination et d’étendre la puissance de l’église : on servait bien plus sûrement l’influence du clergé en flattant les lubies d’une vieille fille dévote, en adressant de timides complimens aux veuves, en caressant les enfans. M. Slope était passé maître dans cet art de la prédication à domicile, de la conversation dévote, de la galanterie cléricale. Aussi ce personnage, qui, à première vue, était odieux à tous les hommes, trouvait-il des défenseurs charitables et quelquefois ardens dans le camp féminin. Le sentiment qu’il inspirait aux femmes n’était cependant pas la sympathie, mais une sorte de pitié. Comme tous les hommes l’attaquaient, les femmes se croyaient obligées de prendre sa défense et de réparer les injustices du sexe fort ; mais M. Slope, comme il arrive souvent aux intrigans rusés, s’abusait sur la nature du sentiment qu’il inspirait, et se prenait lui-même dans ses propres piéges. Il essayait d’exploiter à son profit cette compassion sympathique, où il croyait trouver un commencement d’affection, et, révélant ainsi son odieuse nature, détruisait en un instant la bienveillance dont il était l’objet. Il était astucieux et perfide ; mais sa cupidité gloutonne et empressée lui faisait perdre à chaque instant le fruit de ses ruses. Il se précipitait sur chaque occasion qui se présentait ; il faisait mieux : il étendait le bras et ouvrait la main longtemps d’avance pour la saisir au moment où elle passerait. C’est ainsi qu’il lui arriva une fois de solliciter la place de doyen de Barchester quinze jours avant que le doyen ne fût mort. C’est ainsi qu’il perdit la confiance de mistress Bold pour avoir insinué des propositions de mariage avant d’être sûr des dispositions du cœur de la veuve. C’est ainsi encore qu’il perdit la protection de mistress Proudie pour avoir voulu soustraire intempestivement l’évêque au joug de sa femme. Toute son habileté ne pouvait dissimuler la bassesse de ses instincts, et cet homme, dont tous les instans étaient employés à duper ses semblables, ne parvenait en dernier résultat qu’à se duper lui-même. C’était un publicain qui avait été longtemps au service des pharisiens.

Les Stanhope n’étaient ni publicains, ni pharisiens ; c’étaient de purs mondains, baptisés dans l’église anglicane, et qui ne valaient guère mieux que de simples gentils non convertis. Figurez-vous, si vous pouvez, tous les scandales et toutes les habitudes païennes de la Babylone abhorrée des puritains transportés dans le foyer d’un grand dignitaire de l’église anglicane. Le père, M. Stanhope, était un des grands dignitaires du diocèse de Barchester ; il cumulait plusieurs emplois et trouvait moyen de n’en remplir aucun. Profitant de la faiblesse du dernier évêque, il avait vécu en Italie avec