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pas plus qu’au vent qui passe. » Et alors deux grosses larmes roulèrent dans ses yeux et auraient coulé le long de ses joues rosées, si elle ne les avait vivement essuyées du revers de la main.

« — Vous vous êtes entièrement trompée sur mes sentimens, miss Dunstable.

« — Si je me suis méprise, je vous demande humblement pardon ; mais,… mais…

« — Vous vous êtes méprise, méprise en vérité…

« — Comment me serais-je méprise ? Est-ce que vous n’étiez pas en train de me dire que vous m’aimiez, de me débiter d’absolus non-sens, de me faire une offre de mariage ? Si je me suis méprise, je vous demande pardon… Vous me feriez presque penser qu’il n’y a personne d’honnête dans ce monde fashionable auquel vous appartenez ; Je sais très bien pourquoi lady de Courcy m’a invitée à venir ici ; comment ferais-je pour l’ignorer ? Elle a été si peu discrète dans l’exécution de son plan, que dix fois par jour elle a lâché son secret ; mais à mon tour je me suis dit vingt fois au lieu de dix que si elle était rusée, vous étiez honnête.

« — Et suis-je donc malhonnête ?

« — J’ai ri dans ma manche de voir comment elle jouait son jeu, et d’observer autour d’elle les autres qui jouaient le leur, tous se figurant qu’ils allaient mettre la main sur l’argent de la pauvre folle accourue à leur invitation ; mais je n’ai pu rire qu’aussi longtemps que j’ai pensé que j’avais un véritable ami pour rire d’eux avec moi : on ne peut plus rire quand on a tout le monde contre soi.

« — Je ne suis pas contre vous, miss Dunstable.

« — Vous vendre pour de l’argent ! Ah ! si j’étais un homme, je ne vendrais pas un fétu de liberté pour des montagnes d’or. Quoi ! m’enchaîner, dans toute l’ardeur de la jeunesse, à une personne que je ne pourrais jamais aimer à aucun prix ! Me parjurer, me rendre misérable, et non-seulement moi, mais elle aussi, tout cela afin de vivre dans l’oisiveté ! Bon Dieu ! monsieur Gresham, est-il possible que les paroles d’une femme comme votre tante aient eu assez de puissance sur votre cœur et vous aient assez corrompu pour vous pousser à une aussi vile folie ! Avez-vous donc jeté à l’oubli votre âme, votre esprit, votre énergie virile, le trésor de votre cœur ? Et vous si jeune ! Oh ! par pudeur, monsieur Gresham, par pudeur !… »


L’intérêt réel et la portée sérieuse du roman consistent dans ces rencontres, dans ces duels entre la naissance et l’argent. Il s’en faut de beaucoup que les armes employées dans ces duels soient toujours courtoises. Nous venons de voir un cas particulier où l’honneur et la noblesse se trouvent du côté de l’argent. La naissance a été vaincue, il est vrai, mais elle a été vaincue avec honneur par les armes qui devraient être les siennes, et si elle a été humiliée, elle n’a pas été ridiculisée. Les choses ne se passent pas toujours aussi honorablement, et il est des cas fréquens où le ridicule s’ajoute à l’humiliation. L’argent a aussi son orgueil, un orgueil