Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/757

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voyageur, sans être directement exprimés, composent en quelque sorte une atmosphère poétique où se déploie la narration de l’historien. Quand il nous conduit chez les Doriens et les Ioniens, dans l’Argolide et dans l’Attique, à travers les îles, de l’Archipel et les colonies de l’Asie-Mineure, on voit bien qu’il connaît ces contrées autrement que par les livres. L’étude précise des lieux a gravé dans son esprit le caractère précis des hommes et des choses. Il distingue maintes nuances que confondrait une érudition de cabinet. Il y a çà et là des chapitres qui ont tout l’attrait de l’imprévu. La lutte des rois et de l’aristocratie dans toutes ces villes qu’il connaît si bien est exposée avec une singulière netteté. Même après M. Duncker, M. Curtius a réussi à dire sur Solon des choses intéressantes et neuves. Solon avait accompli une œuvre de conciliation, il avait fondé un état où l’aristocratie n’opprimait plus le peuple ; pour reprendre le pouvoir, l’aristocrate rusé va se faire démagogue. Cette histoire de la démagogie aristocratique, représentée par Pisistrate et ses fils, est expliquée avec beaucoup d’art et de finesse. M. Curtius a profité, comme MM. Mommsen et Duncker, des progrès accomplis depuis un demi-siècle dans la connaissance du vieil Orient : son tableau des villes grecques d’Ionie et de leurs rapports avec la race iranienne a tout l’attrait d’une invention originale. Que l’on rapproche, par exemple, l’histoire du tyran Polycrate au troisième livre d’Hérodote des pages que lui a consacrées M. Curtius : on verra comment l’érudition moderne, entre les mains d’un écrivain habile, peut rajeunir et compléter ces vieilles chroniques. Ce chef de corsaires devenu le maître de l’Archipel, les immenses travaux qu’il accomplit dans son île de Samos, son château-fort dont on voit encore les restes, sa garde de soldats scythes, ces poètes grecs (Anacréon entre autres) qui chantaient leurs chansons voluptueuses à la table du roi des pirates, ces richesses, ces objets d’art volés de tous côtés et rassemblés dans ses palais, cette vie plus orientale qu’hellénique, tout cela est peint avec une nouveauté de couleurs qui fait honneur à l’artiste autant qu’à l’érudit. À la vue de ce personnage étrange et si peu classique, on se rappelle certaines figures de lord Byron. Suivez l’auteur à Naxos, à Paros, sur chaque point des Cyclades : vous y trouverez des condottieri sans foi, toujours prêts à trahir la Grèce et à se vendre aux satrapes. Ce n’est pas d’ailleurs une vaine curiosité d’archéologue qui a conduit ici les recherches de l’historien ; on comprend mieux par ces détails l’importance des guerres médiques et le service qu’elles ont rendu à la Grèce, en l’obligeant à s’unir, à ramasser toutes ses forces, à concevoir enfin là claire et complète conscience de son génie. Enveloppée au sud par l’Égypte, à l’est par les nations iraniennes, la race