Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/756

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

législateur, l’historien les raconte avec une précision toute moderne. On assiste aux péripéties de la bataille ; on voit ces paysans, sauvés par Solon, sauver la Grèce et le monde. Le récit du combat des Thermopyles est une des plus belles pages du livre. Aux déclamations convenues l’auteur substitue des détails d’une précision émouvante. La peinture, rendue plus familière, en devient aussi plus grande. Ces deux volumes de M. Duncker continuent dignement son riche tableau du monde oriental. Moins hardi que M. Mommsen, il lui a emprunté cependant l’art de démêler avec finesse et de nous rendre présentes les luttes politiques, les vicissitudes des partis, la signification cachée des événemens. S’il n’a pas, comme lui, cette libre façon de juger les hommes et ces rapprochemens inattendus qui sont des traits de lumière, s’il est plus grave, plus méthodique, il a pourtant au plus haut degré le sentiment de la vie.

N’est-ce pas un heureux signe que ce sentiment si vif de la réalité qui pénètre dans des domaines réservés jusque-là aux constructeurs de systèmes[1] ? Il y a quelques années à peine, l’Allemagne ne possédait ni une histoire de la Grèce, ni une histoire de Rome. Mémoires, dissertations, recherches partielles, fouilles gigantesques, voilà ce que présentait la littérature historique des Allemands : il suffit de rappeler Niebuhr ou bien Drumann. Aujourd’hui M. Théodore Mommsen écrit son Histoire romaine ; M. Ernest Curtius, l’héritier des Ottried Müller et des Hermann, compose une Histoire grecque[2]. Tandis que M. Duncker achève l’Histoire des Grecs dans son vaste tableau de l’antiquité, M. Curtius aborde le même sujet dans une collection toute populaire, et les deux ouvrages, différens par le plan, semblables par l’esprit qui les anime, obtiennent le même succès. Louer l’érudition de M. Curtius est un soin superflu ; j’aime mieux signaler ce qui fait le charme original de son récit. M. Curtius a longtemps habité la Grèce ; il a publié dernièrement une belle description du Péloponèse : les souvenirs du

  1. On ne doit pas oublier que l’heureuse initiative d’un éditeur de Berlin a facilité ce mouvement nouveau de l’histoire, impatiente de sortir du sanctuaire des écoles pour offrir ses enseignemens à la nation entière. Les livres populaires étaient trop souvent jusqu’à ce jour des compilations sans valeur ; l’éditeur berlinois dont nous parlons, M. Weidmann, s’est proposé de former une bibliothèque historique, et il a pris pour collaborateurs les maîtres de l’érudition. Il s’agissait de publier des livres que tous les honnêtes gens pussent lire, qui fussent même accessibles au peuple, des livres à bon marché qui donnassent le dernier mot de la science sous une forme claire, rapide, sans le moindre appareil de citations et de notes ; il s’adressa précisément aux hommes qui avaient le plus de notes à étaler. Encore un symptôme de l’esprit du temps : le succès de cette publication confirme ce que nous avons dit des dispositions présentes de l’Allemagne.
  2. Griechische Geschichte, von Ernst Curtius ; 1 vol., Berlin 1857.