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pas seulement une histoire de l’Orient qu’il nous a promise, mais l’histoire de l’antiquité tout entière ; l’hellénisme n’est-il pas mêlé de mille manières à la vieille Asie, et le monde romain au monde hellénique ? On aime à retrouver ces trois tableaux réunis dans le même cadre. Aux deux volumes sur l’antiquité orientale M. Duncker vient d’en ajouter deux sur la Grèce[1]. Le récent succès de l’History of Greece de M. George Grote rendait l’entreprise périlleuse. Il était difficile aussi de surpasser en bien des endroits la narration si savante de M. Connop Thirlwall. Ces grands travaux de l’érudition anglaise sont populaires en Allemagne, et la comparaison devait se faire naturellement. M. Max Duncker s’est mis à l’œuvre avec la confiance d’un homme qui a son plan et ses idées à lui. Son Histoire des Grecs est bien moins développée que les ouvrages de Thirlwall et de Grote ; elle est cependant pleine de richesses, et de richesses inattendues. Ce n’est pas seulement par la disposition des matériaux qu’il a su renouveler son sujet, c’est par un sentiment très-vif de l’originalité hellénique. On reconnaît l’homme qui vient de traverser l’Orient, et qui, tout ébloui de la confusion grandiose du vieux monde, sent plus vivement le charme de l’art et le prix de la liberté. Il avait bien parlé des poèmes hindous, de la vie et des doctrines de Bouddha ; il parle mieux encore de l’Iliade et de l’Odyssée. Les meilleures pages de M. Duncker sont celles où il peint l’unité du monde grec se formant peu à peu de tant d’élémens épars. Son exposé de la législation de Solon est digne de la grandeur du sujet. C’est plaisir de voir ces vieilles figures classiques, dont l’originalité est si souvent perdue pour nous, reprendre leur aspect véritable. Débarrassées de la poussière de l’école, elles revivent tout à coup, pleines de jeunesse et de force. M. Duncker nous montre Solon au milieu des aristocrates, des paysans de l’Attique, et comment ne pas s’intéresser à l’œuvre du législateur sans lequel la Grèce aurait péri ? « Solon, dit M. Duncker, a réussi, par sa constitution, à sauver la paysannerie de l’Attique, et ce service a survécu à toutes les transformations de son œuvre. En sauvant l’ordre des paysans, il n’a pas sauvé seulement Athènes, mais l’indépendance de la Grèce. Sans les paysans libres de l’Attique, on n’eût jamais gagné les batailles de Marathon et de Salamine ; on ne les eût même pas livrées. C’est lui qui a donné une base légale à la démocratie hellénique, c’est lui qui a préparé le développement de la liberté civile, qui a organisé le gouvernement des citoyens par eux-mêmes chez un peuple peu considérable, il est vrai, mais le premier dans l’histoire… » Ces grandes journées, Marathon, Salamine, couronnement de la liberté et consécration du

  1. Geschichte des Alterthums, von Max Duncker, Berlin 1856-1857.