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signalé n’obtient pas encore l’attention qu’il mérite. Les ouvrages les plus remarqués, et ce sont ceux-là seulement que j’ai interrogés ici, s’adressent à un groupe d’esprits très restreint. Le public qui s’intéressait si vivement aux travaux de Kant et de Fichte, de Schelling et de Hegel, n’existe plus. L’Allemagne est lasse des systèmes ; elle a peur des séductions du mysticisme. Elle veut voir et toucher les choses avant d’y croire. Les matérialistes de la nouvelle école, hommes très savans d’ailleurs, sont parfaitement préparés à mettre à profit ces dispositions défiantes ; ils recueillent le bénéfice du malaise moral de leur pays. Cette situation durera-t-elle ? Je ne le pense pas, ce n’est qu’une crise. L’Allemagne retrouvera la santé de l’esprit, elle reprendra goût à ces hautes études sans lesquelles sa vie intellectuelle n’est pas complète. Seulement, que les philosophes veuillent bien lui venir en aide ! Plus de prétentions scolastiques, plus de phraséologie barbare, plus de ces systèmes à priori où l’imagination se donne carrière. Hegel et Schelling eux-mêmes, s’ils vivaient encore, y emploieraient vainement leur génie. Il faut que la philosophie soit la science des réalités qui composent l’univers moral, et non l’art de réaliser les abstractions de notre cerveau.

Ce besoin de revenir au vrai point de départ de toute philosophie, l’observation de la réalité, paraît être vivement senti par un certain nombre d’intelligences d’élite. M. Hermann Fichte devient un chef d’école ; de jeunes maîtres le suivent avec confiance dans les voies que son Anthropologie a ouvertes. L’étude de l’homme est le sujet des principaux traités philosophiques publiés depuis deux ou trois ans. Voici un livre intitulé : l’Organisme de la Science et la Philosophie de l’histoire[1]. Ce titre ambitieux a quelque chose d’inquiétant, et l’on pourrait craindre que ce ne fût là une de ces constructions à perte de vue auxquelles l’Allemagne a renoncé ; heureusement l’auteur, M. Adolphe Helfferich, n’a pas tenu les promesses, ou plutôt n’a pas accompli les menaces de son titre. Cet organisme de la science, cette philosophie de l’histoire, ce sont tout simplement quelques essais sur l’esprit de l’homme et ses manifestations multiples. M. Helfferich commence par poser les bases de la psychologie, puis il met l’homme en rapport avec les sciences qui révèlent les faces diverses de sa nature, avec la médecine, la philosophie, la philologie, la jurisprudence et la théologie. C’est une espèce de programme développé de psychologie et de logique. Un autre écrivain du même groupe, M. Hermann Ulrici, publie un travail sous ce titre : Croire et savoir, la Spéculation et la Science exacte, essai de réconciliation entre la religion, la philosophie et l’empirisme

  1. Der Organismus der Wissenschaft und die Philosophie der Geschichte, von Adolf Helfferich ; 1 vol., Leipzig 1856.