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se laisse si aisément entraîner par l’amour du merveilleux ? Ce n’est pas son indulgence pour les esprits frappeurs qui donnera de l’autorité à sa parole. Sur ce point comme sur bien d’autres, lorsque M. Fabri attaque les naturalistes, la philosophie, qu’il croit défendre, est obligée de prendre parti contre lui. Ces écarts sont d’autant plus regrettables que les Lettres de M. Fabri sont remplies d’inspirations du premier ordre, et que M. Fichte les a louées dans son Anthropologie avec une cordiale reconnaissance. Il est fâcheux de faire sourire ses adversaires et d’inspirer de la défiance au lecteur, quand on a de si bonnes choses à leur dire. Je recommande à l’éloquent et imprudent pasteur un livre très curieux d’un physiologiste éminent, une espèce de Discours de la Méthode, composé à l’occasion de ces querelles sur l’esprit et la matière. Ce physiologiste est M. Charles-Gustave Carus, et son livre est intitulé Organon de la Connaissance de la Nature et de l’Esprit[1]. M. Carus est avec M. Lotze un des plus vaillans défenseurs de la physiologie spiritualiste. Les nouveaux matérialistes, M. Vogt, M. Moleschott, M. Büchner, fiers de quelques découvertes récentes, affectaient de considérer les travaux de ce savant maître comme des œuvres vieillies ; M. Carus a publié une seconde édition de son Système de Physiologie, et complétant, rectifiant tout ce qui n’était plus au niveau de la science actuelle, il a montré que ses principes philosophiques n’avaient reçu aucune atteinte. Il a fait plus encore ; il a tracé aux philosophes un programme d’études et d’argumentations pour les aider à vaincre ses confrères. Cet Organon, écrit simplement, élégamment, sans aucun appareil pédantesque, peut faire beaucoup de bien à la cause du spiritualisme. M. Carus vient d’y joindre un travail sur le magnétisme animal et les influences magiques en général[2]. Que M. Fabri médite ces deux ouvrages, il verra comment un physiologiste philosophe sait parler des mystères de l’esprit sans tomber dans les superstitions puériles.

Comment se plaindre, dira-t-on, de la situation philosophique de l’Allemagne ? Voilà d’heureux symptômes : des physiologistes viennent en aide à la philosophie, des philosophes étudient avec zèle les questions physiologiques. À la place d’un idéalisme rêveur, on voit se former un spiritualisme établi sur les faits. Les travaux de M. Lotze, de M. Carus, ne vengent-ils pas la psychologie des attaques de MM. Vogt et Moleschott ? La noble ardeur de M. Fichte h’ouvre-t-elle pas une voie nouvelle à l’étude de l’âme ? Oui, sans doute, ce sont là des promesses ; malheureusement le travail d’idées que j’ai

  1. Organon der Erkenntniss der Natur und des Geistes, von Karl Gustav Carus ; 1 vol., Leipzig 1856.
  2. Ueber Lebens-Magnetismus und über die magischen Wirkungen überhaupt, von Karl Gustav Carus ; 1 vol., Leipzig 1857.