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principes. Or, tandis que l’assaillant concentrait ainsi ses efforts sur le siège de la place avec une stratégie circonspecte, le champ de bataille changeait subitement, sans qu’il parût s’en apercevoir. Le panthéisme de Hegel s’écroulait, déshonoré par ses derniers disciples, et sur ses ruines ricanait déjà un matérialisme vulgaire. M. Feuerbach avait dit que l’intelligence est une substance matérielle, une transformation de ce phosphore que des alimens bien choisis fournissent à l’estomac. Voyant cela, les naturalistes et les chimistes étaient venus revendiquer l’attention à leur tour et imposer silence aux hégéliens. « C’est à nous, disaient-ils, d’expliquer la nature de l’âme. » Que pouvait-on leur répondre ? Absolument rien ; ils réclamaient un droit manifeste. C’est ainsi que M. Charles Vogt et M. Jacques Moleschott s’étaient mis à enseigner la philosophie à l’Allemagne. M, Charles Vogt et M. Jacques Moleschott sont de savans hommes et des hommes d’esprit. Unis par les doctrines, ils sont très différens dans leurs allures ; le premier est aussi facétieux que le second est enthousiaste. Quand M. Vogt expose sa psychologie, on reconnaît toujours le joyeux historien des poissons ; quand M. Moleschott prend la parole, vous croyez entendre le pontife de la matière. Tous deux ils ont scandalisé l’Allemagne ; ils ont employé leur savoir, leur esprit, leurs découvertes personnelles à dégrader l’intelligence de l’homme, à désoler son cœur et son âme. Que d’autres les condamnent, je les remercie de ce qu’ils ont fait. L’Allemagne avait besoin de ces leçons. Ramenés par l’instinct du péril au sentiment de la réalité, les spiritualistes durent recommencer la philosophie par la base, et telle est l’origine de cette évolution salutaire de l’idéalisme allemand que nous cherchons à décrire.

La psychologie des Allemands dédaignait l’expérience ; elle bornait du moins ses observations à un petit nombre de faits, puis, emportée par ses formules à priori, elle s’élançait dans les nuages ; d’ici à longtemps ces sublimes fantaisies ne sont plus permises. Quand on a en face de soi des naturalistes, des chimistes, qui prétendent avoir vu de leurs yeux et touché de leurs mains ce que nous appelons la vie immatérielle de l’homme, quand ils expliquent la volonté à l’aide de l’électricité animale, quand ils disent que la pensée est une sécrétion du cerveau, que l’âme est un composé d’acide carbonique et d’ammoniaque, quand ils affirment que toute autre philosophie est la science des charlatans et des dupes, quand ces grossières doctrines, soutenues par une science incontestable, par d’importantes découvertes anatomiques et chimiques, séduisent un grand nombre de jeunes esprits et deviennent une sorte de danger public, ce n’est plus le temps déporter, avec M. Fischer, la philosophie dans le septième ciel. Suivez plutôt les naturalistes sur leur propre terrain, prenez un scalpel, allez dans un laboratoire,