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été conçues et exécutées. La perpétuité de la transmission héréditaire serait manifestement contraire et à la destination de l’œuvre et à la volonté de l’auteur et à l’intérêt de la société. Elle constituerait en effet un monopole, et l’on s’exposerait à livrer l’exploitation d’un monopole si élevé à des héritiers inintelligens ou indignes, ou à de simples industriels qui s’en seraient peut-être emparés par un de ces marchés que l’on impose si aisément au talent imprévoyant et besoigneux. Que l’on considère la nature essentielle de la propriété littéraire ou l’intérêt social auquel elle correspond, il faut donc repousser la perpétuité, et tendre au contraire à la prompte entrée de l’œuvre intellectuelle dans le domaine public, où se concilient et la destination de l’œuvre et l’intérêt de la société. Quel délai raisonnable peut-on mettre à cette absorption de l’œuvre littéraire dans le domaine public ? La durée de ce délai ne doit pas dépasser le terme indiqué par les affections naturelles de l’auteur et la sollicitude équitable de la société. Que l’écrivain ait le droit de faire jouir sa veuve et ses enfans des fruits de son labeur, qu’il trouve une consolation sur le lit de mort dans la pensée que les efforts de son intelligence, protégés par la loi, défendront, après lui, contre la misère, les êtres qu’il a chéris, voilà ce que peuvent demander avec autorité tous ceux qui tiennent une plume, ou qui reportent sur les écrivains une portion de la sympathie qu’ils gardent aux lettres ; voilà la justice que des législateurs libéraux ne sauraient refuser aux avocats de la propriété littéraire.

Que la Belgique au surplus nous permette de lui envier l’initiative qu’elle prend dans cette question. La liberté est utile aux petits pays ; elle leur permet de donner l’hospitalité aux représentans de grands peuples réunis pour discuter de grands intérêts intellectuels. Il était question, comme on sait, de faire une Belgique en Orient, en réorganisant les principautés danubiennes. La convention qui détermine la nouvelle constitution des principautés est aujourd’hui connue. En somme, elle nous paraît devoir satisfaire les partisans de la nationalité roumaine. Les premières élections qui auront lieu pour la formation des assemblées provinciales, et qui détermineront l’élection des hospodars, auront assurément une grande influence sur la pratique des nouvelles institutions, et c’est dans cette pensée que nous avions redouté le parti qu’a pris la conférence de confier à des caïmacamies provisoires, composées des ministres des hospodars de 1853, la confection des listes électorales, car il nous parait peu probable que ces caïmacamies présentent des garanties suffisantes d’impartialité dans une circonstance qui va décider de la constitution du pouvoir exécutif. Nous espérons néanmoins que les gouvernemens occidentaux ne permettront point à des intrigues locales de tromper leurs intentions. Quant à la charte octroyée aux principautés, il est impossible de ne pas remarquer qu’elle réalise les conditions du gouvernement représentatif, telles que les ont toujours conçues et demandées pour la France ceux que nos absolutistes croient fort maltraiter en les appelant parlementaires. N’est-il pas piquant de voir une conférence où le système de la monarchie parlementaire n’avait que deux représentans arriver à une telle conclusion ? Ne serait-ce point qu’il est impossible de nos jours à des hommes politiques, obligés de travailler de concert à une constitution, de trouver ailleurs les conditions d’un bon gouvernement, du seul