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Mais Karine ne semblait entendre que la voix de Christian.

Martina Akerström se chargea de la réponse. — Oui, oui, dit-elle, je la connais, moi, cette ballade : elle a été composée autrefois par la baronne Hilda. Mon père l’a trouvée dans des papiers saisis au Stollborg, et laissés au presbytère par son prédécesseur. Il y avait aussi des poésies Scandinaves, traduites en vers et mises en musique par cette pauvre dame, qui était fort savante et très grande artiste en musique. On avait voulu faire de cela des preuves contre elle, comme si elle eût pratiqué le culte des dieux païens. Mon père a blâmé la conduite de l’ancien ministre, et il a précieusement gardé les manuscrits.

— À présent, Karine, dit M. Goefle à la voyante, qui était retombée dans une sorte d’extase tranquille, ne nous diras-tu plus rien ?

— Laissez-moi, répondit Karine, qui était entrée dans une autre phase de son rêve, laissez-moi, il faut que j’aille sur le högar, au-devant de celui qui va revenir.

— Qui te l’a dit ? lui demanda Christian.

— La cigogne qui perche sur le haut du toit, et qui apporté aux mères assises sous le manteau de la cheminée des nouvelles de leur fils absent. C’est pourquoi j’ai mis la robe que la bien-aimée m’a donnée, afin qu’il vît au moins quelque chose de sa mère. Il y a trois jours que je l’attends et que je chante pour l’attirer ; mais le voici enfin, je le sens près de moi. Cueillez des bluets, cueillez des violettes, et appelez le vieux Stenson, afin qu’il se réjouisse avant de mourir. Pauvre Stenson ! …

— Pourquoi dites-vous pauvre Stenson ? s’écria Christian effrayé. Vous apparaît-il dans votre vision ? …

— Laissez-moi, répondit Karine. J’ai dit, et à présent la vala retombe dans la nuit !

Karine ferma les yeux et chancela.

— Cela signifie qu’à présent elle veut dormir, dit le danneman en la recevant dans ses bras. Je vais l’asseoir ici, car il faut qu’elle dorme où elle se trouve.

— Non, non, dit Marguerite, nous allons la conduire dans l’autre chambre, où il y a un grand sofa. Elle paraît brûlée de fièvre et brisée de fatigue, cette pauvre femme. Venez ?

— Mais que faisait-elle là-haut ? dit M. Goefle en retournant vers l’escalier et en s’adressant au major, pendant que les deux jeunes filles conduisaient la famille du danneman vers la chambre de garde. Rien ne m’ôtera de l’idée qu’il y a dans cette chambre, murée avec tant de soin par Stenson, un secret plus grave encore, une preuve plus irrécusable que les souvenirs de Karine et la déclaration de Stenson. Voyons, Christian, il faut… Mais où êtes-vous donc ?