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rendu encore peut-être plus rigoureux et plus oppressif. Cet anéantissement de l’initiative individuelle dans l’étreinte de l’état a eu du moins pendant quelque temps pour correctif la liberté de la presse. À mesure que nous nous éloignerons de la panique irréfléchie qui a suivi 1848, l’éducation politique de la France consistera à découvrir progressivement et chaque jour combien le retour à la liberté garantie des discussions publiques est nécessaire à la vie et à l’honneur de chacun et de tous. Voilà la vérité que le pays est en train d’épeler ; c’est notre mission de l’aider à la lire couramment le plus tôt possible et à la relire jusqu’à ce qu’il la sache par cœur. Elle est écrite en ce moment dans une des phases que traverse le mouvement industriel commencé en 1852.

Parmi ceux qui assistèrent au début de cette période d’activité industrielle et d’exubérance financière, plusieurs prédirent que, n’étant point contrôlé par une presse sensée, courageuse, digne et fière de la mission qui appartient à une presse libre, cet entraînement amènerait des excès dommageables pour la fortune des particuliers et pour la morale publique. L’ancien régime avait connu ces fougues financières que ne contrôlait point ce gouvernement salutaire de l’opinion, qui n’existe pas sans la liberté de la presse. Il y avait alors des périodes de folie où des financiers improvisés s’enrichissaient en quelques jours, périodes suivies de scandales, de ruines, de réactions violentes et de terribles vengeances judiciaires. Au moment de la réaction, le gouvernement d’alors se tirait d’affaire en instituant des tribunaux exceptionnels, des « chambres de justice, » chargées, comme on disait en ce temps-là, « de rechercher les financiers. » Les moralistes du XVIIe siècle sont remplis d’allusions aux corruptions et aux vicissitudes de cette classe qui se ruait à la conquête de la fortune rapide, « nés dans la poussière, disait Massillon en son sermon du Mauvais Riche, sortis d’une des moindres villes de Juda, venus à Jérusalem pauvres et dépourvus de tout, et par les emplois les plus bas, par les trafics les plus vils, par des voies inconnues et toujours suspectes, s’élevant à l’abondance et à la prospérité. » La Bruyère a pour ainsi dire écrit par fragmens leur histoire. « Sosie, de la livrée, a passé, par une petite recette, à une sous-ferme, et par les concussions, la violence et l’abus qu’il a faits de ses pouvoirs, il s’est enfin, sur les ruines de plusieurs familles, élevé à quelque grade : devenu noble par une charge, il ne lui manquait que d’être homme de bien ; une place de marguillier a fait ce prodige. » Puis vient un autre portrait : « Sylvain, de ses deniers, a acquis de la naissance et un autre nom. Il est seigneur de la paroisse où ses aïeux payaient la taille ; il n’aurait pu autrefois entrer page chez Cléobule, et il est son gendre. » — « Je ne les crains pas tant qu’ils sont laquais, » s’écriait la spirituelle Mme  Cornuel dans l’antichambre d’un financier aux éclats de rire de Mme  de Sévigné et de M. de Pomponne. « Si le financier manque son coup, continuait La Bruyère, les courtisans disent de lui : C’est un bourgeois, un homme de rien, un malotru ; s’il réussit, ils lui demandent sa fille. » Naturellement plus d’un manquait son coup. « Si l’on partage la vie des partisans en deux portions égales, la première, vive et agissante, est tout occupée à vouloir affliger le peuple, et la seconde, voisine de la mort, à se déceler et à se ruiner les uns les autres. Les partisans nous font sentir toutes les pas-