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— Pourquoi ne te verrais-je pas ? Ne sommes-nous pas dans le pays des morts ? N’es-tu pas le pauvre baron Adelstan ? Tu me redemandes la mère de ton enfant ?… Je viens de prier pour elle et pour lui. Et à présent,… viens, viens,… je te dirai tout !

Et Karine, qui sembla tout à coup se reconnaître, franchit la porte et descendit l’escalier, non sans causer une vive terreur à Marguerite et à Martina, bien que le jeune Olof, qui s’était approché de l’escalier et qui avait tout entendu, les eût prévenues qu’elles n’avaient rien à craindre de la pauvre extatique.

— N’ayez pas peur, leur dit Christian, qui suivait Karine, et que suivaient les deux officiers, M. Goefle et le danneman ; examinez tous ses mouvemens ; tâchez, avec moi, de deviner la pensée de son rêve. Ne fait-elle pas le simulacre de rendre les derniers devoirs à une personne qui vient de mourir ?

— Oui, répondit Marguerite, elle lui ferme les yeux, elle lui baise les mains et les lui croise sur la poitrine. Et maintenant elle tresse une couronne imaginaire, qu’elle lui pose sur la tête. Attendez, elle cherche quelqu’un…

— Est-ce moi que tu cherches, Karine ? dit Christian à la voyante.

— Es-tu Adelstan, le bon iarl ? répondit Karine. Eh bien ! écoute et regarde : voilà qu’elle a cessé de souffrir, ta bien-aimée ! Elle est partie pour le pays des elfes. Le méchant iarl avait dit : « Elle mourra ici, » et elle y est morte ; mais il avait dit aussi : « Si un fils vient à naître, il mourra le premier. » Il avait compté sans Karine. Karine était là, elle a reçu l’enfant, elle l’a sauvé, elle l’a donné aux fées du lac, et l’homme de neige n’a jamais su qu’il fût né. Et Karine n’a jamais rien dit, même dans la fièvre et dans la douleur ! À présent elle parle, parce que le beffroi du château sonne la mort. Ne l’entendez-vous pas ?

— Serait-il vrai ? s’écria le major en ouvrant précipitamment la fenêtre : non, je n’entends rien. Elle rêve.

— S’il ne sonne pas, il ne tardera guère, répondit le danneman. Elle l’a déjà entendu ce matin, de notre montagne. Nous savions bien que cela ne se pouvait pas, mais nous savions bien aussi qu’elle entendait d’avance, comme elle voit d’avance les choses qui doivent arriver.

Karine, sentant la fenêtre ouverte, s’en approcha. — C’est ici ! dit-elle, c’est par ici que Karine Bœtsoï a fait envoler l’enfant.

Et elle se mit à chanter le refrain de la ballade que Christian avait entendue dans le brouillard : « L’enfant du lac, plus beau que l’étoile du soir. »

— C’est une chanson que votre maîtresse vous a apprise ? lui demanda M. Goefle.