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y a deux choses essentiellement allemandes que je n’ai pu me procurer : un opéra de M. Wagner et de la choucroute.

Puisque je viens de toucher incidemment à cette grave question de la vie matérielle au-delà du Rhin et même en-deçà, je veux la couler à fond pour ne plus y revenir. Les Allemands mangent comme tous les mortels, mais est-il bien certain qu’ils sachent dîner ? Ils dorment comme tout ce qui respire, mais peuvent-ils se vanter de se coucher dans des lits impossibles, où je n’ai jamais réussi à entrer sans faire les plus grandes concessions ? Tous les goûts sont dans la nature, et il faut bien que cela soit ainsi, pour qu’on puisse vous servir, comme je l’ai vu sur presque toutes les tables d’hôte des principales villes des bords du Rhin, des gigots carbonisés avec des pruneaux, du veau assaisonné de compote de pommes ! Et quels poulets, quelles salades, quel potage et quel dessert, dont ne voudraient pas en France les domestiques d’une bonne maison ! Excepté dans quelques maisons particulières, où j’ai reçu une hospitalité charmante, je n’ai vraiment dîné et complètement dormi qu’en arrivant à Bruxelles. J’aime l’Allemagne, j’aime ce beau pays de la grande érudition, j’admire ses philosophes, ses poètes et ses grands musiciens ; mais j’avoue que je ne puis pas lui pardonner sa cuisine.

Une des belles promenades de Bade, c’est la longue et grande allée de Lichtenthal, bordée à droite et à gauche de jolis jardins, plantée de vieux chênes qui la couvrent d’une ombre protectrice. Elle conduit à un couvent de femmes qui a échappé aux tourmentes politiques, et qui perpétue des souvenirs historiques qui remontent jusqu’à l’an 1245, où il fut fondé par la veuve d’un prince allemand, Hermann V. Les religieuses, au nombre de vingt, renouvellent leurs vœux tous les trois ans. Elles étudient la musique et jouent de toute sorte d’instrumens, du violon, de la flûte, du violoncelle, composant entre elles un petit orchestre, comme dans les scuole de Venise, dont on a pu lire ici l’histoire. Je ne les ai pas entendues célébrer l’office divin, j’étais arrivé trop tard. Quelques personnes m’ont assuré que la musique qu’on faisait au couvent de Lichtenthal était délicieuse ; des juges plus difficiles m’ont affirmé au contraire que ces pieuses femmes chantaient aussi faux que des moines français. La sensation musicale la plus pure que j’aie éprouvée dans ce charmant pays, où M. Benazet a introduit le vaudeville parisien, c’est à l’église collégiale de Bade, à la messe de sept heures. J’ai entendu deux ou trois cents enfans des écoles publiques chanter un choral à l’unisson avec une justesse, une onction et une précision admirables et touchantes. C’était une phrase de plain-chant pas trop longue, mais d’un beau caractère, qu’ils entonnaient sans hésitation, en la reprenant après quelques mesures de silence, que l’orgue remplissait d’une harmonie simple, mais modulante. Je souligne cette dernière expression parce qu’il y a à Paris une petite école fort obscure, composée de deux membres, dont l’un est homme de talent, qui s’est avisée d’inventer une nouvelle manière d’accompagner le plain-chant. Cette école a publié un spécimen de ses doctrines qui a fait grand scandale parmi les initiés, et dont l’Institut est fort embarrassé, ayant été mis en demeure d’émettre son avis sur de pareilles puérilités. C’est qu’à vrai dire le plain-chant a toujours été accompagné avec l’harmonie du temps, appropriée par le goût et le