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le vain bruit, les futilités où se plaît une certaine société parisienne. Je ne veux pas porter la guerre dans le charmant pays du grand-duc de Bade ; mais j’étais bien aise de m’assurer par moi-même en quelle estime on tient ici toutes ces choses vaines, cette musique, cette prose, ces rimes creuses, ces opérettes sans nom et ce faux bel-esprit qu’on fait venir de Paris pour donner une idée à l’Allemagne de l’éclat et de la civilisation de la France ! Tout ce clinquant est estimé à sa juste valeur, et ce qui le prouve, c’est le dialogue suivant, dont je ne suis que le rapporteur véridique.

— Vraiment, disait devant moi un personnage de beaucoup d’esprit qui tient un rang élevé auprès d’un souverain de la confédération germanique, M. l’entrepreneur des jeux se moque un peu de nous. Croit-il donc que nous autres Allemands, nous venions à Bade pour entendre les pauvretés qu’on exécute dans la magnifique salle des concerts ? Nous serions indignes d’être les compatriotes des Haydn, des Mozart, des Beethoven, des Weber, des Mendelssohn, si nous prenions an sérieux ces frasques de journaliste en belle humeur, ces comédies d’antichambre, ces virtuoses de la parole et ces opéras-comiques improvisés. Pourquoi cet entrepreneur ne fait-il rien pour l’Allemagne, qui, non moins que la France, vient apporter de l’eau à son moulin ? Nous sommes ici dans les états d’un prince allemand, ce qu’on semble oublier un peu trop. Qu’on nous fasse venir pendant quinze jours l’orchestre du Conservatoire, que Meyerbeer ou que M. Auber nous apportent quelques nouvelles fleurs de leur génie, l’Allemagne applaudira et accourra ; mais nous ne sommes pas assez dépourvus d’hommes de talent pour nous émerveiller beaucoup de tous les marivaudages parisiens dont on nous fatigue. — Monsieur, répondit un Français de bonne humeur à qui ce discours s’adressait, l’entrepreneur n’est pas aussi simple que vous semblez le croire ; il sait bien ce que valent au fond les hommes et les œuvres qu’il vous exhibe dans ses magnifiques galeries, mais il a besoin de flatter la presse parisienne, parce que les journaux français sont les plus grands enjôleurs du monde. — Ah ! je comprends, répondis-je à mon tour, ces messieurs remplissent ici l’office de cet orgue de Barbarie qui jouait devant la maison de Fualdès pendant qu’on regorgeait.

Je ne suis resté en face de la maison de conversation, rendez-vous favori de tout ce monde que je viens de peindre, que pour y dîner fort mal et fort cher dans un café qui s’intitule restauration, et où règne un affreux désordre. En revanche, la musique militaire d’un régiment de la garde du grand-duc de Bade m’a fait un plaisir réel. J’étais au bout de l’allée qu’on nomme promenade, lorsque je fus frappé par la tournure harmonique d’un morceau qu’exécutaient les musiciens. Je m’approchai davantage du kiosque où ils se tenaient, et le morceau se changea en une affreuse cacophonie pour se terminer par une plate conclusion, c’est-à-dire par une cadence parfaite. Je me dis en moi-même : Cela doit être de la musique de M. Wagner. En effet, c’était un chœur de Lohengrin, arrangé pour la musique militaire. À Dieu ne plaise que je juge le talent de ce compositeur sur un pareil spécimen ! J’ai acquis la conviction que ses ouvrages obtiennent un succès réel à Berlin, à Dresde et même à Vienne. Je ne suis pas moins obligé de convenir que dans ma course rapide à travers les provinces rhénanes il