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Je ne conseille pourtant pas à ceux qui méditent des plans d’expéditions futures de placer nos successeurs dans les conditions que la république nous avait faites, car je craindrais fort que les mêmes méprises ne se renouvelassent plus d’une fois. Quand on a vu le vainqueur d’Algésiras, l’intrépide et habile amiral Linois, confondre en 1804 le convoi de Chine, sur le passage duquel il était venu tout exprès se poster, — convoi qu’il avait non pas reconnu de loin, mais canonné pendant près d’une heure, — confondre ce convoi avec une escadre de vaisseaux de guerre, on peut croire que de pareilles erreurs ne sont pas si extraordinaires, ni si étranges qu’elles en ont l’air. D’ailleurs les vaisseaux de la compagnie, s ils n’étaient pas des vaisseaux de guerre, n’étaient pas non plus précisément des vaisseaux marchands. Ils portaient de trente à trente-six canons de 18, et un équipage de 150 à 200 hommes. L’un d’eux, le Warren Hastinqs, avait combattu deux heures dans les mers de l’Inde la frégate la Piémontaise, frégate de la force de la Séduisante.

L’officier que le commandant de la division chargea de me transmettre à la voix ses ordres était, dans mon opinion, un des plus valeureux officiers de notre marine. Quelques années plus tard, il devait trouver la mort sur le champ de bataille de Trafalgar. Il commandait, dans cette funeste journée, le Fougueux. Ce brave officier, interprète du chef de l’expédition, me héla, en réponse à mes offres, que j’étais dans l’erreur, que nous avions devant nous une escadre anglaise se rendant dans l’Inde, et que l’intention du commandant de la division était de s’en éloigner le plus promptement possible. Ce parti adopté, il fallait immédiatement prendre chasse sous toutes voiles et prescrire aux frégates de naviguer en route libre, à la seule condition de rester à portée de se soutenir mutuellement. Notre chef, par malheur, avait de grandes prétentions à la tactique, comme beaucoup de gens qui ne se souviennent point qu’en marine la lettre tue et l’esprit vivifie. Il voulut se faire chasser dans les règles, et commanda successivement plusieurs manœuvres savantes qui n’eurent d’autre effet que de nous attarder : la ligne de file, l’ordre de front, l’angle obtus de retraite. L’ennemi jusqu’alors avait continué à serrer le vent sans se montrer très soucieux de nous approcher ; mais dès qu’il s’aperçut que nous prenions la fuite, il laissa arriver sur nous en arborant le pavillon anglais et faisant toute la voile possible. La brise ne s’éleva que dans l’après-midi. Les Anglais la reçurent avant nous. Nos voiles battaient encore le long des mâts, que déjà les leurs étaient gonflées par un vent assez frais. Aussi en moins d’une heure se trouvèrent-ils presque à portée de canon. Je me tenais au poste que m’assignait le dernier ordre