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comme des chasseurs après une battue. Nous profitâmes de leur éloignement pour raidir notre gréement, qu’une extrême tension avait beaucoup allongé, et nous mîmes la frégate en état d’essuyer une nouvelle chasse.

Le calme se prolongea jusqu’au milieu de la nuit suivante. À deux heures du matin, le vent s’éleva de l’est et ne tarda pas à fraîchir. Bien fixé sur la position de l’ennemi, je n’hésitai pas à reprendre la route du Ferrol. Quand le jour reparut, les vaisseaux anglais étaient à quelques lieues en arrière. La confiance que m’avait inspirée la supériorité de notre marche avait dissipé toutes mes inquiétudes. Que le vent continuât un seul jour encore de nous être favorable, et j’étais certain d’arriver à ma destination. Malheureusement la brise passa de nouveau au sud-ouest, et nous rejeta vers les côtes de la Saintonge. La division anglaise, qui ne nous avait pas perdus de vue, se mit encore une fois à notre poursuite. Elle nous escorta jusqu’aux environs du banc de Rochebonne, mais elle n’osa pas s’aventurer plus loin. Le temps était devenu affreux. Des douze pilotes côtiers embarqués comme passagers abord de la Mignonne, je n’en trouvai pas deux qui fussent du même avis sur la position que nous assignait la sonde. Les uns prétendaient que nous devions être près de l’île d’Yeu ; à en croire les autres, nous touchions les Branches-Vertes. Je dus me résigner à donner quelque chose au hasard. Le hasard me servit admirablement, car au jour j’aperçus les tours de Chassiron et de la Baleine. Le vent se maintenait au sud-ouest, le temps conservait une très mauvaise apparence. Je n’avais plus d’autre parti à prendre que de donner dans le Pertuis-d’Antioche et d’aller jeter l’ancre sur la rade de l’île d’Aix. J’avais heureusement entraîné à ma suite les bâtimens anglais qui surveillaient l’escadre du Ferrol. Les vents contre lesquels ils eurent à lutter pour aller reprendre leur croisière les retinrent assez longtemps éloignés des côtes d’Espagne pour que nos alliés profitassent de cette levée inattendue du blocus. Quelques jours après mon arrivée, cinq vaisseaux espagnols mouillaient à l’embouchure de la Charente. Voulez-vous affronter une marine plus puissante et plus nombreuse que la vôtre, construisez à tout prix des navires plus rapides que ceux que l’ennemi vous oppose. Telle est la moralité qu’on peut tirer de cette première croisière de la Mignonne, moralité que le récit d’une plus longue et moins heureuse campagne ne démentira pas.


II

Mon premier soin, dès que j’eus rendu compte à mes supérieurs des circonstances qui avaient entravé l’accomplissement de ma mission,