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la Béarnaise. Le premier de ces bâtimens était celui que je devais monter. Il était en rade de l’île d’Aix et prêt à prendre la mer. Les deux autres achevaient leur armement dans le port de Rochefort ; mais pendant que, l’esprit exalté par ce retour soudain de la fortune, je rêvais les plus brillantes croisières, la France se sentait prise d’un invincible découragement à l’endroit de sa marine. Ses vaisseaux en effet s’en allaient un à un ; ses frégates et ses corvettes, après avoir capturé quelques misérables bâtimens de commerce, tombaient à leur tour au pouvoir de l’ennemi. Jervis venait de battre sous le cap Saint-Vincent la flotte espagnole, Duncan avait presque détruit devant Camperdown la flotte hollandaise. Ces deux revers essuyés par nos alliés donnèrent gain de cause à la fatale opinion qui semblait avoir hâte d’abdiquer pour la France toute prétention à une lutte maritime. Après le traité de paix de Campo-Formio, et lorsqu’il n’avait plus à combattre d’autre ennemi que l’Angleterre, le gouvernement de la république, au lieu de songer à restaurer patiemment sa marine, eut la bizarre idée de concéder au commerce des frégates et des corvettes tout armées pour faire la course.

Les trois bâtimens qui composaient ma division furent ainsi mis à la disposition d’un négociant de Nantes. Les capitaines devaient être pris dans le corps militaire de la marine ; mais ils étaient au choix de l’armateur. Le nôtre me conserva le commandement de la Gaieté. Je ne fus que très médiocrement flatté de cette préférence. Il n’était pas du tout dans mes goûts de faire le métier de corsaire. Il fallait bien cependant m’y résigner, si je voulais aller à la mer ; les bâtimens concédés étaient désormais les seuls qui dussent naviguer. Par bonheur, au moment où allait se consommer cette abdication irrévocable de la France comme puissance navale, le contre-amiral Bruix entrait au ministère. Un de ses premiers actes fut de suspendre ou de révoquer les concessions faites par son prédécesseur. Un très petit nombre de bâtimens avaient été envoyés en croisière ; ils en revinrent sans avoir fait le moindre tort à l’ennemi.

La Gaieté était redevenue une corvette de l’état. N’ayant point d’autre mission à lui donner, on l’attacha au service des convois. Pendant plus d’un an, j’escortai nos bâtimens de commerce de Rochefort à Brest et de Nantes à Bordeaux. Promu au grade de capitaine de frégate dans les premiers jours du mois de juin 1798, je ne changeai, à mon grand regret, ni de commandement, ni de service. Toute l’activité de notre marine s’était concentrée, depuis le commencement de cette année, sur les côtes de la Méditerranée et dans le port de Toulon, où s’organisait l’expédition d’Égypte. Dans l’Océan, les Anglais ne se contentaient plus de croiser à l’entrée de