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voyez-vous pas que dans ce repaire on ne recule devant rien ? Je comprends trop ce que, par une amère et horrible dérision, on appelle ici la chambre des roses ! Et ce pauvre vieillard qui n’a plus que le souffle, ce fidèle serviteur qui m’a sauvé de mes ennemis, comme il le dit dans sa déclaration, et qui, après les fatigues d’un long voyage, m’a consacré une longue vie de silence et de travail ; c’est pour moi encore qu’à l’heure où nous sommes il expire peut-être dans les tourmens ! Non, cela est impossible ; vous ne me retiendrez pas, major ! Je ne reconnais pas votre autorité sur moi, et s’il faut se frayer un passage ici l’épée à la main,… eh bien ! tant pis, c’est vous qui l’aurez voulu.

— Silence ! s’écria M. Goefle en arrachant des mains de Christian son épée que le jeune homme venait de saisir sur la table, silence ! Écoutez ! on marche au-dessus de nous dans la chambre murée.

— Comment cela serait-il possible, dit le major, si elle est murée en effet ? D’ailleurs je n’entends rien, moi.

— Ce ne sont point des pas que j’entends, répondit M. Goefle ; mais taisez-vous et regardez le lustre.

On regarda et on fit silence, et non-seulement on vit trembler le lustre, mais encore on entendit le léger bruit métallique de ses ornemens de cuivre, ébranlés par un mouvement quelconque à l’étage supérieur.

— Ce serait donc Stenson ? s’écria Christian. Nul autre que lui ne peut connaître les passages extérieurs…

— Mais en existe-t-il ? dit le major.

— Qui sait ! reprit Christian. Moi, je le crois, bien que je n’aie pu m’en assurer, et que l’ascension par les rochers m’ait paru impossible. Mais… n’entendez-vous plus rien ?

On écouta encore, on entendit ou on crut entendre ouvrir une porte et frapper ou gratter de l’autre côté de la partie murée de la salle de l’ourse. Stenson s’était-il échappé des mains de ses ennemis, et, n’osant revenir par le gaard ou par le préau, qu’il pouvait supposer gardés par eux, était-il entré dans le donjon par un passage connu de lui seul ? Appelait-il ses amis à son aide, ou leur donnait-il un mystérieux avertissement pour qu’ils eussent à se méfier d’une nouvelle attaque ? Le major trouvait ces suppositions chimériques, lorsque le lieutenant entra avec le danneman Bœtsoï, en disant : Voici un de nos amis qui arrive de nos bostœlles où il cherchait son fils. N’est-il point ici ?

— Oui, oui, mon père ! répondit Olof, qui était fort effrayé de tout ce qu’il venait d’entendre et qui fut très content de voir arriver le danneman. Étiez-vous inquiet de moi ?

— Inquiet, non ! répondit le danneman, qui venait de faire la