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dans toute leur amertume les plus dures épreuves de la servitude militaire.

Les instructions ministérielles m’avaient été remises, et je n’attendais plus que des vents favorables pour partir, lorsque survint le coup d’état du 18 fructidor. La Brillante fut un des bâtimens désignés pour transporter à Cayenne les députés que venait d’atteindre l’ostracisme révolutionnaire. Je reçus l’ordre de faire préparer dans l’entre-pont de la corvette un local séparé du logement de l’équipage pour y installer seize de ces proscrits. Un capitaine d’artillerie de marine, embarqué sur la corvette avec vingt-cinq grenadiers, était exclusivement chargé de la garde et de la police des prisonniers. Le choix de cet officier n’était pas heureux. Le 4 novembre 1790, étant alors simple soldat, il avait porté le premier coup de sabre au capitaine de vaisseau Macnimara, égorgé par son équipage à l’île de France. Mon état-major ne fut pas moins désolé que moi de l’embarquement d’un pareil homme, mais il eût été dangereux de témoigner la profonde antipathie qu’il nous inspirait en présence d’événemens qui menaçaient de faire revivre le régime de la terreur.

Les déportés avaient fait le voyage de Paris à Rochefort sous l’escorte de forts détachemens de troupes. Dans les différentes villes qu’ils avaient traversées, ils avaient paru inspirer un vif intérêt aux populations. On jugea prudent de ne point les faire entrer dans la ville de Rochefort, et on les conduisit directement sur le bord de la Charente, à Martrou. Deux lougres les y attendaient et les transportèrent à bord de la Brillante, mouillée sur la rade de l’île d’Aix. Il était nuit close quand les proscrits, accompagnés du major de la marine, arrivèrent abord de la corvette. Procès-verbal fut dressé de leur embarquement, et quand cette formalité, qui employa une partie de la nuit, fut remplie, le major de la marine repartit pour Rochefort. Le jour commençait à peine à paraître, que le vaisseau la Révolutian, sous la volée duquel j’étais mouillé, m’enjoignit de mettre sous voile. La brise était extrêmement faible, le courant de jusant très fort, et je doutais qu’il me fût possible de doubler dans ces circonstances la pointe méridionale de l’île d’Aix. Le capitaine de la Révolution, soit excès de zèle, soit ignorance, ne partageait pas, à ce qu’il paraît, mes craintes ; il me réitéra l’ordre d’appareiller, en me menaçant de m’envoyer toute sa volée et de me couler, si j’hésitais à obéir. Toute observation eût été inutile : je mis donc sous voiles. Le courant emporta la corvette avec une foudroyante rapidité vers cette pointe, que je savais bordée d’écueils. Je doublai cependant les dangers, mais de si près que le succès dans cette circonstance fut un pur effet du hasard. Un échouage m’eût fait accuser de connivence avec les proscrits. Quel eût été le coupable cependant,