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Le crédit foncier devait fournir à l’agriculture, avec un intérêt réduit et à long terme, le capital nécessaire à ses progrès. — Loin de se substituer avantageusement au prêt hypothécaire, il n’a pu procurer les mêmes ressources. On a vu que la moyenne des prêts hypothécaires avait été dans une période de dix années de plus de 400 millions de francs par an ; or les demandes d’emprunt faites au crédit foncier s’élevaient au 1er mars de cette année à 231 millions, sur lesquels 85 seulement avaient été régularisés par acte définitif, soit pour six années une moyenne de moins de 15 millions. Dans ce même intervalle, les prêts hypothécaires ordinaires, sous l’influence des préoccupations qui dirigeaient les capitaux vers les valeurs de bourse, ont diminué dans une proportion notable et n’ont repris un peu d’importance que tout récemment et sous le coup de l’abaissement de l’intérêt. En réalité, et sans qu’il faille en rejeter la responsabilité sur le crédit foncier lui-même, l’agriculture n’a pas retrouvé les ressources dont elle disposait il y a une dizaine d’années.

Le crédit foncier, disait-on encore, était destiné à faire disparaître l’usure qui dévore les campagnes. Est-ce dans les campagnes qu’il recrute sa clientèle ? Sur les 85 millions de prêts définitifs dont on vient de parler, 27 seulement sont garantis, par des propriétés rurales ; le reste s’applique à des propriétés urbaines, et le département de la Seine seul y est compris pour le chiffre de 50 millions. Enfin est-ce aux petits propriétaires que ces moyens de crédit ont été concédés ? En 1855, le gouverneur du crédit foncier constatait que sur 826 prêts réalisés, ceux de 300 fr. à 10,000 fr. étaient au nombre de 216. Au 1er mars 1858, le chiffre des prêts réalisés est porté à 2,192. Dans ce nombre, la proportion des faibles emprunts s’est-elle accrue ? Il est permis d’en douter, et le contraire paraît bien plus probable lorsque l’on considère que les prêts à la propriété urbaine se sont multipliés plus rapidement que les prêts à la propriété rurale, et que les premiers sont garantis par des immeubles d’une valeur en général assez élevée. Et même, dans cette classe des prêts de 300 fr. à 10,000 fr., si l’on voulait préciser quelle est vraiment la part de la petite propriété, il serait indispensable de connaître au juste le nombre des emprunts qui se rapproche de la plus faible de ces deux limites, car un emprunt de 10,000 fr., avec les précautions prises par le crédit foncier pour l’estimation de la valeur des biens et dans les bornes que lui imposent ses statuts, suppose chez celui qui le contracte une aisance qui ne permet guère de le ranger dans la classe de ces petits propriétaires dont le sort avait ému l’opinion publique. On se trouve ainsi ramené aux prévisions de l’éminent rapporteur de 1850, qui se refusait à croire