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— On peut toujours s’en assurer, dit le major ; il est par là dans le gaard.

— Attendez donc ! s’écria M. Goefle, qui était toujours sur la brèche devant son idée fixe ; ne m’avez-vous pas dit, Christian, que vous aviez fait verser le baron ce soir au moment de la chasse ?

— C’est-à-dire que le baron m’a culbuté et s’est culbuté lui-même par contre-coup, répondit Christian.

— Eh bien ! reprit l’avocat, tous les objets que contenaient vos voitures ont roulé pêle-mêle sur le chemin, depuis les ours jusqu’aux portefeuilles, et celui-ci est…

— La trousse de son médecin, je le parierais ! dit Christian. Laissez-la ici, Olof, nous la lui renverrons.

— Donnez-moi cela ! reprit M. Goefle d’un ton décidé et absolu. La seule manière de savoir à qui appartient un portefeuille anonyme, c’est de l’ouvrir, et je m’en charge.

— Vous prenez cela sur vous, monsieur Goefle ? dit le scrupuleux major.

— Oui, monsieur le major, répondit M. Goefle en ouvrant le portefeuille, et je vous prends à témoin de la chose, vous qui êtes ici pour instruire les faits d’un procès que j’aurai peut-être mission de plaider. Tenez, voici une lettre de M. Johan à son maître. Je connais l’écriture, et du premier coup j’y vois… l’homme aux marionnettes… Guido Massarelli… la chambre des roses ?… Ah oui ! le baron se permet, comme le sénat, d’avoir la sienne ! Major, cette pièce est fort grave, et peut-être l’autre, car il y en a deux, est-elle plus grave encore ; votre mandat exige que vous en preniez connaissance.

— Puis-je m’en aller ? dit le jeune danneman, qui, comprenant confusément l’instruction d’une affaire judiciaire, éprouvait, comme les paysans de tous les pays, la crainte d’avoir à se compromettre par un témoignage quelconque.

— Non, répondit le major ; il faut rester et écouter. — Et s’adressant à Marguerite et à Martina, qui se consultaient à voix basse sur la possibilité de s’en retourner au château : — Je vous prie et vous demande, leur dit-il, d’écouter aussi. Nous avons affaire à forte partie, et nous serons peut-être accusés d’avoir fabriqué de fausses preuves. Or en voici une qui nous est remise en votre présence, et dont il est nécessaire que vous ayez connaissance en même temps que nous.

— Non, non ! s’écria Christian, il ne faut point que ces dames soient mêlées à un procès…

— J’en suis désolé, Christian, répondit le major ; mais les lois sont au-dessus de nous, et je ferai ici très rigoureusement mon devoir. Il a été tué ce soir un homme qu’il vaudrait mieux certes