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situation : les charges de la propriété en France n’étaient le résultat ni d’un malheur public, ni d’un mauvais état social ; elles étaient volontaires, et contractées avec un empressement qu’il y avait plutôt lieu de réprimer que d’encourager. La propriété foncière trouvait en effet facilement à emprunter une somme qui, de 1840 à 1848, s’est élevée à une moyenne annuelle de plus de 550 millions, et il ressort évidemment de ce fait la preuve que le gage n’était pas en disproportion avec la dette.

Toutefois cette facilité d’emprunt elle-même avait créé un malaise qui s’opposait à lai mise en valeur complète de la propriété foncière, et c’était à cet inconvénient qu’il fallait obvier, disait-on, dans l’intérêt de la communauté. Les produits du sol étaient en effet insuffisans pour amortir la dette et pour en payer les intérêts. Incessamment accrue, la dette eût fini par dévorer la propriété et retarder pour longtemps les progrès de l’exploitation. On pourrait à cet égard rappeler ce qui vient d’être dit au sujet de la proportion certainement rassurante entre le montant de la dette et la valeur du gage ; mais il convient en outre de faire une distinction importante sur ce qu’on appelle le revenu du sol. Si l’on affirme que le propriétaire d’un immeuble, qui emprunte à 5 pour 100 et tire de son domaine, en le louant, une rente de 2 1/2 à 3 pour 100 fait une mauvaise opération, qu’il ne pourra amortir le capital emprunté avec son revenu seul, on a trop facilement raison ; mais cette rente de 3 pour 100 constitue-t-elle le revenu de la terre ? Assurément non. M. Léonce de Lavergne a très bien établi que ce que l’on appelle communément le revenu de la terre n’en est qu’une petite partie, et que pour l’avoir dans son entier, il faut ajouter à la rente qui représente le prix de la propriété le produit qui représente le travail. La terre travaillée par celui qui la possède donne un résultat tel que le propriétaire peut emprunter à un taux notablement élevé. C’est ce que démontre suffisamment le nombre encore assez grand des cultivateurs enrichis par des efforts soutenus et intelligens. Mais s’il plaît au propriétaire de se dépouiller d’une partie de ses droits ou de répudier une partie de ses devoirs, de délaisser à un tiers la charge du travail pour employer à d’autres soins les loisirs qu’il se fait, il devra tenir compte comme d’une valeur réelle de ce temps ainsi réservé, et s’en servir pour combler le déficit qui existe entre la rente reçue et l’intérêt payé pour l’emprunt.

Si donc la propriété foncière supportait de lourdes charges en France, c’était par une disposition volontaire des propriétaires, par leur manie d’acquérir ou de conserver, c’était aussi par leur habitude générale, de renoncer aux bénéfices de la culture : dans l’un et l’autre cas, il n’y avait peut-être lieu qu’à laisser les choses reprendre